Un an après le rapprochement engagé entre les États-Unis et Cuba, les conditions sont encore loin d'être réunies pour une «véritable relation commerciale» entre les deux pays, estime Maria de la Luz B'Hamel, directrice de la politique commerciale en Amérique du Nord au ministère cubain du Commerce extérieur.

À Cuba, le retrait de l'île de la liste américaine des pays «terroristes» et les mesures d'assouplissement de l'embargo sont perçus comme des «progrès positifs», mais le maintien de l'embargo et d'autres restrictions provenant des États-Unis paralysent toujours le commerce entre Cuba et l'étranger, relève cette responsable dans un entretien à l'AFP.

QUESTION : Quels ont été les progrès réalisés dans la relation commerciale entre Cuba et les États-Unis depuis l'annonce historique du dégel entre les deux pays, il y a un an ?

RÉPONSE : «Nous pensons qu'il y a eu des progrès, surtout en termes d'échanges, de connaissance mutuelle. Mais après 50 ans sans relations, il y a une grande méconnaissance entre nos deux pays, qui pourtant sont voisins.

C'est incroyable, par exemple, de constater la méconnaissance (des responsables américains) sur la porté de l'embargo (en vigueur depuis 1962, NDLR). À plusieurs reprises, des responsables nous ont dit: 'Ce n'est pas possible ! Cela est toujours en vigueur ?'.

Depuis un an, nous avons reçu une infinité de visites de responsables et d'entrepreneurs américains et avons pu identifier les intérêts communs, découvrir les potentialités des nombreuses choses que nous pouvons faire.

Mais le fait que les relations diplomatiques aient été rétablies (en juillet, NDLR) n'implique pas pour autant que des relations diplomatiques et commerciales normales puissent se développer. Cela n'est pas possible alors qu'un embargo économique, commercial et financier est imposé par les États-Unis à Cuba».

Q: Au-delà de la levée de l'embargo, désormais aux mains du Congrès américain, La Havane réclame davantage de mesures de la Maison Blanche pour faciliter les échanges. Pouvez-vous nous donner des exemples ?

R: «Il existe une série de compétences, de prérogatives, de facultés qui restent du ressort du pouvoir exécutif (américain) et qui pourraient permettre d'avancer vers un climat un peu plus normal dans les relations économiques et commerciales.

Les mesures adoptées (en janvier puis en septembre pour assouplir l'embargo, NDLR) sont positives, mais jusqu'à maintenant Cuba ne peut pas utiliser le dollar dans ses transactions internationales.

Cela affecte non seulement la relation entre Cuba et les États-Unis, mais aussi les relations entre Cuba et tous nos partenaires commerciaux dans le monde. Si les restrictions (commerciales) ont été levées pour le secteur des télécommunications, pourquoi ne pas le faire pour d'autres secteurs comme l'énergie, le tourisme ou l'agriculture ?

De surcroît, il est très difficile de développer une relation commerciale lorsque vous êtes limités pour le transport par bateaux et quand vous ne pouvez pas bénéficier de facilités de paiement (aux États-Unis).

Sans parler des importations (américaines concédées cette année à Cuba dans les secteurs de l'agriculture et des télécommunications, NDLR) qui sont réservées au secteur privé. Pourquoi ? Dans la pratique internationale cela ne fonctionne pas comme ça. Je ne connais aucun pays pour lequel les États-Unis ont dit 'on lève une mesure de l'embargo mais cela doit être seulement pour ce secteur et pas l'autre'».

Q: Pourtant, en juillet Cuba a obtenu son retrait d'une liste noire américaine d'«États soutenant le terrorisme», qui paralysait l'aide économique des États-Unis et des avantages commerciaux ou financiers pour Cuba.

R: «La présence de Cuba sur cette liste était apparemment un des motifs de la persécution visant les transactions bancaires de Cuba.

Pourtant rien n'a changé depuis. Aucune mesure n'a été prise pour donner confiance aux banques et dire 'bon, ce pays (...) n'a plus de raison d'être la source de craintes pour les banques'.

En retirant Cuba de cette liste, les États-Unis ont relevé de 10% à 25% la part des composants (de produits manufacturés) américains pouvant être contenus dans les produits importés par Cuba. Pourquoi maintenir une limite et ne pas dire 'Éliminons là' ?

Véritablement, dans ces conditions on ne peut pas aller très loin.

Les deux pays sont voisins. Il y a un grand potentiel pour le développement des affaires. Mais les mesures prises par les États-Unis sont insuffisantes, totalement insuffisantes même pour commencer à développer un climat d'affaires. Il faudra continuer à travailler et à échanger intensément».