Une institution sous influence ? Le FMI est accusé d'avoir cédé à des pressions politiques pour éviter l'échec de son plan d'aide à l'Ukraine, après avoir été confronté à des soupçons similaires avec la Grèce ou plus récemment la Chine.

Le procès en instrumentalisation est cette fois instruit, avec une rare virulence, par les autorités russes qui ont prévenu que leur confiance vis-à-vis du Fonds monétaire international était «sérieusement sapée».

Objet de leur courroux: la décision mardi du FMI de renoncer à une règle interne qui lui interdisait d'assister financièrement un État ayant fait défaut vis-à-vis d'un autre pays.

D'apparence très technique, ce changement va dans les faits permettre de maintenir en vie le vaste plan d'aide accordé en mars à l'Ukraine, qui était menacé par le refus de Kiev de rembourser 3 milliards de dollars dus à Moscou d'ici à la fin de l'année.

«Le Fonds monétaire international (...) a pour la première fois de son histoire pris une décision destinée à soutenir un État emprunteur à l'encontre des accords existants, uniquement pour des raisons politiques», a tonné le premier ministre russe Dmitri Medvedev.

Dans une tribune publiée jeudi dans le Financial Times, le ministre russe des Finances Anton Silouanov a averti que cette décision, «pourrait soulever des questions quant à l'impartialité» d'une institution et dont les fondements ne devraient être modifiés «qu'après mûre réflexion».

Le FMI a indirectement répondu jeudi. «La nécessité de cette réforme était claire depuis un certain temps maintenant», a assuré Hugh Bredenkamp, un des cadres de l'institution, en dévoilant les détails de la nouvelle règle.

Selon lui, un tel changement était nécessaire pour éviter qu'un plan du FMI ne soit «pris en otage» par le refus d'un pays de renégocier sa créance.

Le FMI s'était d'ailleurs penché sur cette question dans un rapport de mai 2013 «avant même que le prêt de la Russie à l'Ukraine n'existe», a-t-il rappelé.

Le calendrier pose toutefois question.

«C'était une bonne chose d'agir mais le timing n'est pas bon», affirme à l'AFP Andrea Montanino, ancien représentant italien au FMI. «C'était une erreur de faire ça dans la précipitation et cela donne l'impression que c'est une simple décision de circonstance», ajoute-t-il.

Vide juridique

Depuis plusieurs mois les Occidentaux, qui dominent les instances de décision du FMI, cherchaient à contourner le refus russe de renégocier cette dette. «On trouvera un moyen», avait récemment confié à l'AFP un haut responsable européen.

Le FMI cédant à la pression de ses principaux actionnaires européens et américains ? Pas si simple, répondent toutefois d'autres experts.

«Le FMI a saisi la bonne occasion pour combler un vide juridique», assure ainsi à l'AFP Domenico Lombardi, un ancien membre du Fonds.

Selon lui, l'institution a su faire du différend russo-ukrainien «un catalyseur pour renforcer le consensus des États membres» autour d'une réforme nécessaire.

Ce n'est toutefois pas la première fois que le Fonds, qui renfloue les pays en crise moyennant des mesures d'économies, se retrouve ainsi sur le banc des accusés.

L'institution de 188 États membres avait déjà fait grincer des dents en changeant ses règles en 2010 pour prêter davantage à la Grèce au nom d'un nouveau «risque systémique» et sous la pression des Européens.

Bien plus récemment, fin novembre, le Fonds a décidé d'inclure le yuan chinois dans son panier de réserves et d'en faire ainsi une monnaie de référence.

La décision a été globalement saluée même si certains experts l'ont aussi interprétée comme un geste en faveur de Pékin.

«C'était une bonne décision mais elle est évidemment politique. Il fallait envoyer un signal à la Chine qui n'a pas assez de poids au FMI», assure ainsi M. Montanino.

Le Fonds s'en est farouchement défendu, en martelant qu'il s'agissait d'une décision «technique».

Le FMI, institution purement technique ou instrument politique: la réalité se niche sans doute dans une zone grise.

«Le FMI est une institution politique dont les décisions sont prises sur une base technique», analyse M. Lombardi. «Ce n'est pas toujours noir ou blanc et il y a une marge d'interprétation».