Acquisitions géantes, transactions monumentales... Les grosses fusions-acquisitions prolifèrent, renouant avec des performances d'avant la crise grâce à des taux d'intérêt très bas, mais elles nécessiteront aussi des réorganisations parfois délicates.

Selon les données de Dealogic, 45 fusions-acquisitions de plus de dix milliards de dollars ont déjà eu lieu de janvier à septembre, pour un montant total de près de 1200 milliards de dollars, en hausse de 89% par rapport à la même période l'an passé.

Cette semaine, le géant américain de la pharmacie Pfizer (fabricant du célèbre Viagra) a dit qu'il voulait acheter Allergan, qui possède le non moins célèbre Botox et qui pèse plus de 110 milliards de dollars en Bourse. Et de nombreux autres projets sont dans les tuyaux, dans l'hôtellerie, l'industrie, l'agro-industrie, etc.

Ce mouvement de fusions-acquisitions géantes «est venu des États-Unis puis s'est amorcé en Europe en 2014», explique Tangi Le Liboux, analyste chez Aurel BCG.

«Il y a énormément d'argent disponible, et les taux sont extrêmement bas avec des possibilités d'emprunts avantageux», souligne-t-il.

La tentation est donc grande d'aller acheter la croissance plutôt que de s'échiner à la générer soi-même, surtout dans un contexte de croissance modérée.

«L'inflation est très basse et grève les revenus des grosses sociétés», analyse Philip Whitchelo, vice-président du cabinet Intralinks. «Du coup elles vont chercher de la croissance en s'étendant géographiquement grâce à l'acquisition d'un concurrent».

Dans le secteur de la bière, c'est une des plus grandes opérations de l'histoire qui se dessine entre deux géants. Le belgo-brésilien AB InBev prépare le rachat du britannique SABMiller pour une somme avoisinant 100 milliards d'euros, après un accord de principe entre les deux entreprises mi-octobre.

Par ce biais, AB InBev s'ouvrirait entre autres les portes de l'Afrique, un continent où la consommation de bière est très prometteuse et où SABMiller, né il y a 120 ans en Afrique du Sud, a une présence forte.

La vague des fusions révèle aussi un relatif recentrage sur les pays développés après le ralentissement économique des émergents.

«L'appétit des investisseurs revient pour les pays matures, les États-Unis, l'Allemagne et l'Angleterre», décrit Hervé Jauffret, associé chez Ernst and Young qui vient de faire paraître une étude sur le sujet.

En France, le patron emblématique de cette folie des acquisitions est le milliardaire Patrick Drahi.

À la tête d'Altice, il a dépensé en quelques mois près de 30 milliards de dollars pour acquérir les câblo-opérateurs américains Suddenlink en mai (9 milliards de dollars), puis Cablevision (17,7 milliards) en septembre.

Une solution de facilité ?

«L'argent n'est pas cher et c'est le moment de faire ce type d'opérations. Les sociétés qui les mènent ont un savoir-faire dans la réduction des coûts et les restructurations. Mais attention, le marché commence à prendre conscience des limites de l'endettement», met en garde Fabien Laurenceau, stratégiste chez Aurel-BCG.

«La croissance externe peut être une solution de facilité, mais pour les grandes structures, elle comporte aussi de vrais risques», prévient de son côté Tangi Le Liboux.

Il est délicat de «marier les cultures», souligne-t-il, évoquant la fusion en cours entre Nokia et Alcatel-Lucent.

Dans les mémoires, les douloureuses fusions des années 2000, en pleine bulle internet comme Aol Time Warner ou HP-Compaq qui avaient vu leurs valeurs boursières s'effondrer.

Enfin, le contexte entre l'annonce de l'acquisition et sa réalisation peut évoluer très vite.

Le groupe pétrolier anglo-néerlandais Royal Dutch Shell a annoncé en avril vouloir racheter le britannique BG Group pour l'équivalent de 64 milliards d'euros.

Mais le baril du pétrole ne cesse de baisser et selon plusieurs analystes, le marché émet désormais des doutes sur le processus.

Malgré ces risques, la croissance des acquisitions devrait se poursuivre. Le cabinet Intralinks estime que leur nombre va grimper de 8% en 2015, retrouvant le niveau de 2007, puis continuer à progresser en 2016.

Au total, 59% des entreprises ont des projets d'acquisitions dans les douze prochains mois, la proportion la plus élevée de la décennie, considère pour sa part Ernst and Young.