Après des années de négociations, le Canada et les 11 autres membres du Partenariat transpacifique (PTP) sont parvenus à un accord, éliminant les droits de douane et les tarifs pour une multitude de produits.

Ottawa prétend qu'il maintient les trois piliers de la gestion de l'offre pour le lait, les oeufs et la volaille, la préoccupation majeure des agriculteurs canadiens. Toutefois, les pays signataires auront davantage accès au marché canadien pour ces produits, jusqu'à présent très fermé. Ainsi, par exemple, un nouvel accès au marché canadien équivalant à 3,25% de la production de lait canadien sera offert aux pays signataires.

Ottawa semble juger que l'accord pourrait perturber significativement l'équilibre actuel pour les agriculteurs, puisque divers programmes de compensation à leur endroit totaliseront à long terme 4,3 milliards de dollars. Les agriculteurs pourront par exemple compter sur des revenus fixes pendant les 10 ans suivant l'entrée en vigueur du PTP, une mesure évaluée à 2,4 milliards de dollars.

C'est en brandissant ces milliards que le premier ministre sortant Stephen Harper a tenté de rassurer les agriculteurs.

«Le cabinet a déjà approuvé une aide substantielle», a déclaré M. Harper au cours d'un point de presse à Ottawa, lundi matin. Il assure que cette aide «protègera les agriculteurs de n'importe quelle perte» financière. «Il n'y aura pas de perte dans ce secteur», a insité le chef conservateur.

Il a toutefois spécifié que les 4,3 milliards de dollars doivent compenser les agriculteurs pendant les 15 prochaines années non seulement pour le PTP mais aussi pour l'entente avec l'Union européenne.

«La compensation que j'annonce aujourd'hui est pour ces deux accords (...). Il y aura quatre éléments de cette compensation: un programme de garantie du revenu, un programme de garantie des valeurs des quotas, un fonds de modernisation de la transformation (...) et une initiative de développement des marchés», a-t-il ajouté, promettant de se pencher sur les détails avec les représentants des agriculteurs.

Des dispositions de l'accord ont été rendues publiques lundi matin, mais le texte final de l'accord n'a pas encore été divulgué. Des représentants gouvernementaux indiquent que ce pourrait être fait dans les prochains jours.

La conclusion de cet accord en négociation depuis des années a été reportée plusieurs fois. En juillet, à Hawaii, elle semblait imminente, mais les négociateurs finalement sont rentrés chez eux bredouille. Cette fois-ci, ils menaient depuis cinq jours des discussions intensives. Les journalistes avaient même été convoqués dimanche pour une séance d'information technique, séance maintes fois repoussée, puis finalement annulée en milieu de soirée.

En conférence de presse à Atlanta, lundi matin, les ministres de commerce international des 12 pays impliqués n'ont pas divulgué quels étaient les derniers obstacles qu'il a fallu abattre en pleine nuit.

En plus d'avoir cédé une partie du marché canadien protégé par le système de gestion de l'offre, le gouvernement fédéral ouvre plus grand les portes aux pièces automobiles fabriquées à l'étranger.

Les voitures importées au Canada pourront entrer sans droit de douane du moment que 45% de leur fabrication provienne d'un des 12 pays du PTP. Sous l'ALENA - entente qui encadre le libre échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique - la barre est plus haute à 62,5%. La modification qu'imposerait le PTP pourrait nuire à certains fabriquants canadiens. Ottawa fait le calcul qu'elle bénéficierait aux consommateurs.

La zone de libre-échange en devenir regroupera, entre autres, le Canada, les États-Unis, l'Australie et le Japon, mais pas la Chine. Si l'entente est ratifiée par toutes les législatures nationales, elle constituera le plus important accord de libre-échange à ce jour, dans une zone regroupant 800 millions de personnes et représentant 40% de l'économie mondiale.

Les exportateurs canadiens seront les grands gagnants de l'entente.

Les trois piliers de la gestion de l'offre (contrôle de la production, de l'importation et du prix) ont été mis en place dans les 1970 pour garantir aux agriculteurs un revenu stable. Ces derniers doivent acheter des quotas de production. Ainsi, au Canada, le prix du lait est déterminé par les coûts de production et non par le marché. Le Canada, en revanche, ne subventionne pas ses producteurs laitiers, alors que les États-Unis leur versent environ 4 milliards de dollars US par année.

Cet accord survient à deux semaines du scrutin au Canada et pourrait avoir des répercussions sur la campagne électorale. Au cours des derniers jours, Stephen Harper avait répété que la gestion de l'offre serait maintenue, sans toutefois s'engager à la protéger dans son intégralité.

Thomas Mulcair a déjà laissé savoir qu'un gouvernement néo-démocrate ne se sentirait pas lié à un accord dans lequel la gestion de l'offre serait affectée. «Un gouvernement du NPD n'acceptera aucune entente qui met en péril nos fermes familiales, un point c'est tout», avait-il répété samedi. Il ne soumettrait tout simplement pas à la Chambre des communes un texte qui ne garantirait pas la gestion de l'offre.

Le Bloc québécois s'était lui aussi dit catégorique contre tout changement du système actuel, Gilles Duceppe en faisant un enjeu central de sa campagne. Justin Trudeau, pour sa part, semblait ouvert à certaines concessions, s'en était surtout pris au caractère très secret des négociations. «Il a travaillé dans le secret, sans transparence. On ne sait pas comment il a négocié», avait-il déploré dimanche.

Lundi, à Atlanta, le ministre fédéral du Commerce international Ed Fast tentait de rassurer les électeurs.

«Le nouveau parlement (après l'élection) aura un débat complet sur l'entente», a-t-il promis. Tout en se déclarant «très satisfait» des termes du PTP, il a dit que c'est le nouveau parlement qui aura à juger ce qui a été accompli à Atlanta.

10 questions portant sur l'accord

Quels sont les pays impliqués?

Le Brunei, le Chili, la Nouvelle-Zélande et Singapour ont mis le projet sur la table il y a plusieurs années. Les États-Unis, le Canada, le Mexique, le Japon, le Vietnam, l'Australie, le Pérou et la Malaisie font grimper à 12 le nombre de pays impliqués. D'autres pays, comme la Colombie, la Thaïlande ainsi que la Corée du Sud avaient aussi exprimé un intérêt pour se joindre aux discussions.

Quelle est l'ampleur de cet accord de libre-échange?

Il s'agit de la plus grande zone de libre-échange dans le monde, qui comprend quatre continents et 40% de l'économie mondiale - bien plus que l'Union européenne (UE).

Est-ce que le PTP est plus important que l'UE?

Vraiment pas. L'Europe a ouvert ses frontières, facilitant ainsi la circulation des personnes et des marchandises d'un pays à l'autre. Le PTP réduit les barrières tarifaires dans une zone plus élargie.

Quels sont les effets?

L'accord réduit ou élimine les tarifs douaniers sur une multitude de produits canadiens exportés à l'étranger, dont au Japon. Cela s'applique à la machinerie, en passant par le boeuf et le porc ainsi que les produits forestiers. Il procure également un nouvel accès au marché canadien équivalent de 3,25% de la production de lait canadien aux pays signataires. Le PTP facilitera également l'arrivée en Amérique du Nord de pièces automobiles fabriquées à l'étranger.

Pourquoi est-il important?

Cela entraîne dans la sphère d'influence américaine des économies qui se développent rapidement. Il introduit ainsi de nouvelles règles dans ce qui est considéré comme le terrain de jeu de la Chine. L'accord représente un précédent pour de futures ententes, notamment sur l'implication de la Chine et de ses sociétés d'État. Le PTP met en place de nouvelles règles pour l'économie numérique du 21e siècle.

Quel est le problème?

Il expose des travailleurs de la classe moyenne à une concurrence étrangère où les coûts de production sont bas, notamment dans le secteur automobile. Il pourrait aussi avoir un impact négatif sur la profitabilité des fermes laitières, même si le gouvernement promet une aide de plusieurs milliards de dollars étalée sur 10 ans pour les aider. Ces décisions gouvernementales pourraient être infirmées par des tribunaux spéciaux, comme dans l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) et devant l'Organisation mondiale du commerce, lorsque des compagnies contestent certaines lois adoptées par les gouvernements.

Est-ce que l'entente entre les 12 pays est une décision finale?

Non. Les parties impliquées, comme le Canada après la campagne électorale, devront ratifier l'entente. Un vote qui s'annonce difficile devrait avoir lieu au Congrès américain l'an prochain.

Est-ce qu'il est possible de lire le texte complet de l'entente?

Pas encore. Pour le moment, les détails ont été fournis par différents gouvernements. Un responsable canadien a dit souhaiter que les parties impliquées soient en mesure de dévoiler l'entente au cours des prochains jours. Il n'est pas encore certain que les Canadiens pourront prendre connaissance du texte avant de se rendre aux urnes, le 19 octobre.

Est-ce que le PTP met fin à l'Accord de libre-échange nord-américain?

Non. Cet accord existe toujours, mais le PTP devrait avoir préséance sur certains aspects. Dans un sens, c'est ce que le président américain Barack Obama avait promis lors de sa première course présidentielle en affirmant vouloir réviser l'ALÉNA - ce qui avait suscité la controverse en 2008.

Est-ce la fin de Postes Canada et de Radio-Canada?

Non. Il y a eu des rumeurs à cet effet, en raison de certaines règles imposées à des sociétés d'État. Diverses sources ont insisté pour dire que ces rumeurs émanaient de la Chine.