La proposition mise sur la table par Athènes jeudi soir a enfin été considérée comme «positive» vendredi par les créanciers, après cinq mois de discussions âpres, tandis qu'Alexis Tsipras reconnaissait qu'elle était «loin» des promesses de Syriza, mais la meilleure possible.

Cette double attitude faisait reculer, au moins temporairement, le spectre du Grexit, une sortie de la Grèce de la zone euro.

Il a fallu exactement 24 heures, vers 23h00 heure de Bruxelles, minuit heure d'Athènes, pour qu'une source européenne révèle que les trois institutions créancières (UE, BCE, FMI) jugeaient la proposition d'Athènes «positive», et constituant «une base de négociation» en vue d'un troisième plan d'aide au pays d'un montant de 74 milliards d'euros.

Feu vert du Parlement grec

Le Parlement grec a donné dans la nuit de vendredi à samedi son feu vert à la proposition d'accord. Le Premier ministre Alexis Tsipras, qui avait fait de ce vote un choix de «haute responsabilité nationale», a recueilli 251 votes positifs sur un total de 300 députés pour aller négocier samedi avec les créanciers du pays (UE, BCE, FMI) sur la base de la proposition qu'il a mise sur la table jeudi soir.

Mais il a enregistré les défections de dix députés de son parti de gauche radicale Syriza qui se sont abstenus ou, pour deux d'entre eux, ont voté contre ce plan d'accord.

Parmi les huit abstentionnistes figurent trois personnalités de sa majorité: le ministre de l'Energie Panagiotis Lafazanis et le ministre délégué aux caisses d'assurance sociale Dimitris Stratoulis, de l'aile eurosceptique de Syriza, ainsi que la présidente du Parlement Zoe Konstantopoulou, troisième personnage de l'Etat.

Plusieurs députés Syriza étaient par ailleurs absents pour le vote, dont l'ex-ministre des Finances Yanis Varoufakis, si bien que le texte a été adopté avec les voix de l'opposition, socialistes et conservateurs notamment, puisque la majorité gouvernementale compte 149 députés Syriza ainsi que 13 députés du petit parti de droite souverainiste Anel, ces derniers ayant voté pour la proposition d'accord.

Les commentateurs politiques estimaient samedi que ces défections au sein de la majorité pourraient entraîner des changements politiques, peut-être sous la forme d'un remaniement ministériel.

Alexis Tsipras, tout en défendant le paquet de mesures proposé par le gouvernement, avait admis, face aux parlementaires, qu'elles étaient «difficiles» et loin des promesses électorales de la gauche radicale.

L'Eurogroupe réuni samedi

Cette proposition sera examinée samedi par les ministres des Finances de la zone euro, l'Eurogroupe, avant de déboucher dans le meilleur des cas sur «un accord politique», avant un sommet extraordinaire des 28, dimanche, qui pourrait relancer officiellement les négociations.

Il s'agira d'étudier le document de 13 pages intitulé «Actions prioritaires et engagements» et publié dans la nuit de jeudi à vendredi, dans lequel, moins d'une semaine après avoir fait voter non à 61% par la population sur un texte très proche, Athènes s'engage à adopter une grande partie des mesures proposées par les créanciers.

Les propositions d'Athènes paraissent en effet désormais toutes proches des voeux de ceux-ci, sur la plupart des sujets qui fâchent: retraites, TVA, privatisations, taxe sur les sociétés...

Dans la journée, les marchés financiers avaient anticipé les nouveaux développements, avec un raffermissement de l'euro, une hausse des bourses européennes et une nette détente des taux d'emprunt des pays du sud de l'Europe, la Grèce en tête.

«Syriza soutient le capitalisme»

À la tête du camp des conciliants, le président français François Hollande avait jugé les propositions d'Athènes «sérieuses» et «crédibles».

Alors que de nombreuses rumeurs font état d'un soutien actif de la France, très engagée en faveur d'un compromis, dans la préparation des mesures, le premier ministre Manuel Valls avait jugé pour sa part «équilibrée et positive» la position des Grecs.

Le gouvernement allemand avait refusé au contraire de donner son opinion, indiquant «ne pas pouvoir juger du contenu» des propositions à ce stade, et «attendre que les institutions communiquent leur avis», avant l'Eurogroupe.

Un vote large -- prévu en fin de nuit -- de la plupart de la représentation nationale grecque en faveur d'une négociation sur la base de ce texte ne faisait guère de doute : en effet, Vangelis Meimarakis, chef par intérim du principal parti d'opposition (conservateur), a appelé à voter pour, ce qui compensera les quelques défections que devrait enregistrer Syriza.

Mais certains Grecs ayant voté non dimanche faisaient part de leur mécontentement.

Sept à huit mille personnes ont ainsi manifesté vendredi soir à Athènes à l'appel du PAME, syndicat communiste, et de partis de gauche. «Syriza soutient le capitalisme», affirmait une banderole. «Si les Grecs ont voté aussi massivement pour le non c'est parce qu'ils voulaient mettre fin à la rigueur. Le gouvernement n'en tient pas compte», déplorait Evgenia Roussos, une étudiante proche du parti Antarsya («Mutinerie»).

Aux premières heures de la matinée, M. Tsipras avait fait la leçon à son propre groupe parlementaire Syriza réuni à huis clos. «Ou on continue ensemble, ou on chute ensemble», aurait-il averti, arguant qu'au-delà des mesures d'austérité qu'ils désapprouvent, les Grecs voulaient, pour les trois quarts, rester dans l'euro.

«Il y avait beaucoup de oui dans le non et beaucoup de non dans le oui» au référendum, expliquait, philosophe et résigné, Grigoris Manthoulis, un commerçant dont l'activité est au ralenti depuis la fermeture des banques et l'instauration d'un contrôle des capitaux, le 29 juin.

Cette mesure est prévue pour durer jusqu'à lundi, mais le vice-ministre des Finances Dimitris Mardas a laissé entendre vendredi qu'elle pourrait encore se prolonger, avec des aménagements.

Et maintenant, la dette

Ce qui permettait au gouvernement grec de garder la tête haute malgré tout était l'espoir exprimé par M. Tsipras de voir enfin s'ouvrir «un débat sérieux sur la restructuration de la dette» grecque, qui atteint 180% du PIB du pays. Manuel Valls a estimé qu'avoir «une perspective claire» sur ce point était nécessaire.

Le sujet divise les Européens, mais Athènes insiste sur le sujet, avec le soutien affiché de la France, du FMI (dont l'ancien directeur général, Dominique Strauss-Kahn, a plaidé à titre personnel pour un allègement de la dette grecque dans sa première prise de position publique depuis 2011), du président du Conseil européen Donald Tusk et de nombreux économistes.

Berlin a vu vendredi «très peu de marge de manoeuvre» pour restructurer cette dette. Une sorte d'avancée néanmoins par rapport à jeudi, lorsque la chancelière Angela Merkel avait dit qu'une réduction de la dette grecque était «hors de question». L'option la plus probable est celle d'une «restructuration light» de la dette.

Le nouveau ministre grec des Finances Euclide Tsakalotos a espéré pour sa part que «beaucoup des demandes de la Grèce sur la dette vont être acceptées», citant notamment un échange de 27 milliards d'euros d'obligations entre la BCE et le Mécanisme européen de stabilité (MES), prôné de longue date par les Grecs, qui lui permettrait d'éviter l'écueil des plus de 7 milliards d'euros à rembourser à la BCE en juillet et août.

Il a été «soutenu complètement» sur Twitter par son prédécesseur Yanis Varoufakis, absent du débat vendredi «pour raisons familiales».

L'économie grecque souffre de la crise de liquidités

John HADOULIS (ATHÈNES) - Yannis Fourtoulakis a trois camions immobilisés en Allemagne, incapables de payer le gasoil et les péages : son entreprise est une parmi d'autres, qui se paralysent peu à peu en Grèce du fait du contrôle des capitaux.

«Si la situation n'est pas résolue rapidement, tôt au tard il y aura des problèmes, notamment avec la nourriture», prévient ce patron de 38 ans dont la société de transport importe des produits chimiques d'Allemagne pour les raffineries en Grèce.

«Les stations-services ne font plus crédit car les raffineries les forcent à payer leurs achats en cash» et «donc ensuite le problème se transmet aux transporteurs et aux producteurs», assure-t-il pour décrire cette «réaction en chaîne» .

Le gouvernement martèle pour sa part, et en particulier à destination des touristes, «qu'il y a des quantités suffisantes de carburant en circulation».

La situation «va empirer» 

Le décalage entre la parole officielle et la réalité risque de se faire de plus en plus sentir, alors que le contrôle des capitaux, qui empêche les Grecs de retirer plus de 60 euros par jour au distributeur, ou d'envoyer de l'argent à l'étranger, est en vigueur depuis le 29 juin, et on ne sait plus trop bien jusqu'à quand (jusqu'à lundi prochain officiellement).

«La situation va empirer et les problèmes s'accumuler», souligne Nikos Vettas, directeur de la Fondation pour l'Économie et la recherche industrielle.

«Nous rencontrons déjà des problèmes avec les exportations et les importations. Le plus tôt les banques rouvriront, le mieux ce sera pour le commerce», ajoute-t-il.

La presse écrite s'est adaptée, avec une pagination réduite ces jours-ci «pour économiser du papier», commente Athinagoras Mykoniatis, le directeur du journal crétois Patris, qui a dû passer de 64 à 32 pages.

Le gouvernement a admis des «difficultés» dans l'approvisionnement en papier qui pourrait mener à la fermeture temporaire de certains journaux locaux, mais a aussi assuré que les aides d'État leur seraient maintenues.

Restrictions sur internet 

Même sur internet, les Grecs ne peuvent pas échapper aux restrictions. Le service de paiement en ligne PayPal a bloqué les transactions en Grèce.

«En raison de la décision des autorités grecques de mettre en place un contrôle des capitaux, les paiements par PayPal provenant de comptes bancaires grecs, ainsi que les transactions transfrontalières à partir de n'importe quel carte ou compte bancaire ne sont actuellement pas possibles», remarque PayPal dans un communiqué.

Les Grecs qui complètent leur revenu avec des ventes en ligne ne sont pas réjouis.

«Près de 40% de mon revenu provient de ventes d'objets de collection en ligne, et je ne mets plus rien en vente car j'ai peur que les paiements soient bloqués par PayPal», avoue Filippos Englezakis, 39 ans.

Kostas Patinaris, 45 ans, vend des vêtements en ligne et doit faire face au même problème : «Avant le contrôle des capitaux, j'avais 30 à 35 commandes par jour. Actuellement je n'en ai aucune...J'ai été obligé de mettre mon personnel en congés forcés».

Impact sur le tourisme 

Les retraits limités à 60 euros par jour ne concernent pas les détenteurs de cartes bancaires étrangères, et les touristes ont été épargnés par les perturbations.

La Grèce a donc évité leur départ massif en plein milieu de haute saison. Mais les réservations de dernière minute ont baissé de 30% selon Alexandre Lamnidis, directeur de la Confédération du tourisme grec.

Il a remarqué que dans certaines îles, les distributeurs étaient à sec et les restaurants rencontraient des difficultés pour trouver de la viande.

Les touristes qui auraient voulu profiter de la dynamique scène culturelle grecque et des festivals risquent d'être déçus puisqu'une douzaine de représentations ont été annulées.

Même les musées sont touchés. «Les expositions programmées pour l'automne devront peut-être être annulées», a indiqué un représentant d'un des grands musées de Grèce, en raison des paiements à effectuer pour les assurances et le transport d'oeuvres situées à l'étranger.

«Avec des contrats en euros», «les difficultés seraient encore plus grandes si le pays était obligé de sortir de changer de monnaie», poursuit-il.

Mais il essaie de se rassurer : «nous ne devons pas céder au pessimisme.Je crois que les créanciers ne vont pas laisser la Grèce couler».