La déroute des Bourses chinoises, qui a entraîné un interventionnisme forcené des autorités, met en évidence les fragilités persistantes des marchés locaux et compromet l'ambitieux programme de réformes du secteur financier engagé par Pékin, estiment des experts.

Après une année d'euphorie, l'atterrissage brutal de la Bourse de Shanghai - qui a dégringolé d'environ 30% en moins d'un mois - représente un épineux défi pour un gouvernement soucieux d'afficher ses succès économiques.

Les autorités ont multiplié les mesures d'urgence drastiques pour enrayer la débâcle, quitte à renier leur promesse d'accorder une liberté accrue aux marchés et au secteur privé.

« Il y a un énorme degré d'incohérence entre ce que nous voyons ces dix derniers jours, et l'objectif du programme des réformes, accroître l'influence des marchés », a indiqué à l'AFP Brian Jackson, économiste du cabinet IHS China.

« On va maintenant dans la direction exactement opposée », a-t-il ajouté.

Les dirigeants chinois, sous l'égide du président Xi Jinping, avaient dévoilé fin 2013 des projets de réformes censées libéraliser le secteur financier et accompagner le rééquilibrage de l'économie en renforçant la consommation et les services.

Les Bourses devaient jouer un rôle crucial en finançant l'essor du secteur privé.

Mais un torrent de liquidités, nourri par les assouplissements monétaires à répétition de la banque centrale et par un endettement massif des investisseurs, a gonflé démesurément les marchés d'actions.

La Bourse de Shanghai s'est envolée de 150% en douze mois, en déconnexion flagrante avec l'économie réelle, qui connaissait elle un douloureux ralentissement: l'industrie manufacturière se contractait, l'immobilier trébuchait et la consommation fléchissait.

Interventionnisme tous azimuts

Or, à l'inverse des places occidentales, l'écrasante majorité des investisseurs des Bourses chinoises sont des particuliers, suivistes et s'étant endettés pour investir: ce qui a accéléré la panique générale quand la bulle s'est dégonflée.

Soucieux de désamorcer le mécontentement populaire, le gouvernement a fini par intervenir massivement.

Les régulateurs ont annoncé mercredi que les actionnaires possédant plus de 5% dans une entreprise cotée seraient désormais interdits de vendre leur participation pour six mois.

Les introductions en Bourse ont été suspendues, et les compagnies d'assurances ont été autorisées à investir en Bourse une proportion accrue de leurs actifs.

La banque centrale (PBOC) a promis de fournir des liquidités abondantes destinées aux acquisitions de titres, via le financement des « opérations sur marge » (achats d'actions par endettement), une pratique qui avait pourtant contribué à l'envolée artificielle des Bourses.

Les 21 principales maisons de courtage se sont engagées à investir « au moins » 19 milliards de dollars en Bourse.

Tout cela « constitue une dérive totale par rapport aux principes généraux adoptés par le Parti communiste (...), laisser le marché jouer un "rôle décisif" dans l'allocation des ressources », s'exclamait Li-Gang Liu, analyste de la banque ANZ.

Crédibilité entamée

Il faut que la Chine « améliore la qualité des entreprises cotées » - dont les titres bondissaient sans aucun rapport avec leur performance économique véritable -, note M. Liu.

Et de l'avis général, Pékin devra établir un solide réseau d'investisseurs institutionnels - actionnaires stratégiques de long terme - en contrepoids à la masse des petits porteurs, versatiles et imprévisibles.

Une solution: ouvrir davantage aux investisseurs étrangers les marchés chinois, aujourd'hui isolés par de sévères restrictions des mouvements de capitaux.

« Sans ces réformes cruciales, il est très difficile de voir comment les Bourses chinoises pourront devenir un placement durable et attractif », soupirait M. Liu.

Mais échaudé, Pékin pourrait au contraire bloquer tout progrès vers la convertibilité du yuan pour éviter des fuites de capitaux à l'étranger.

« Les dirigeants ont fait une grave erreur en applaudissant sans réserve l'envolée des Bourses, et ils redoutent maintenant que le plongeon entame leur crédibilité », relevait Mark Williams, du cabinet Capital Economics.

« C'est sans doute pourquoi ils ont surréagi », « mais il n'y a pas de raison de penser que leur jugement fondamental sur les réformes nécessaires a changé », tempérait-il.

Interrompre les réformes renforcerait l'isolement de la Chine, alors que Xi compte déjà à son crédit des avancées notables vers la libéralisation du secteur financier - depuis la levée des contrôles sur les taux d'emprunt en 2013, jusqu'au lancement en mai dernier d'un fonds de garantie protégeant les clients des banques.

Les contradictions gouvernementales étaient pointées en Chine même par le magazine Caixin: « Les régulateurs ont cédé à la pression générale (...) Ce ne sont clairement pas des décisions guidées par le marché ».