Le premier ministre grec Alexis Tsipras a tenté vendredi de galvaniser une dernière fois ses compatriotes, les appelant à dire non pour «vivre avec dignité en Europe» alors que le oui progresse à l'avant-veille d'un référendum crucial pour la Grèce.

Le premier ministre a rejoint le rassemblement des partisans du non en début de soirée, fendant la foule de plus de 25 000 personnes amassée place Syntagma, devant le Parlement à Athènes.» Nous fêtons la victoire de la démocratie, la Grèce envoie un message de dignité, personne n'a le droit de menacer de diviser l'Europe», a-t-il lancé sous les acclamations.

«Nous avons le droit de décider pour nous-mêmes», soutenait une manifestante, Katerina, 51 ans, interrogée par l'AFP. «Les mesures d'austérité qu'on nous a imposées nous ont menées à une situation encore pire».

Au même moment, plus de 22 000 partisans du oui se rassemblaient devant le stade où ont eu lieu les premiers jeux Olympiques modernes, en 1896, reprenant des slogans en faveur de l'Europe dans une mer de drapeaux grecs.  «Le oui va donner un meilleur avenir à nos enfants», a assuré de la tribune, ému, le présentateur vedette Nikos Aliagas.

Et d'autres rassemblements avaient lieu en Allemagne, Italie, Pologne et Belgique, avec notamment 3000 personnes à Bruxelles.

Pour la première fois, un sondage (de l'institut Alco) donnait vendredi l'avantage au oui, crédité de 44,8% des voix, le non recueillant 43,4%.

Mais les jeux ne sont pas faits : un autre sondage, réalisé cette fois pour Bloomberg par l'Université de Macédoine, montre que l'écart est serré avec 43% pour le non, contre 42,5% pour le oui.

«Ce référendum a coupé la société grecque en deux groupes qui ont une compréhension différente de la question posée», remarque le responsable de ce sondage, Nikos Marantzidis, professeur de sciences politiques à l'Université de Macédoine, citée par Bloomberg.

Avec une victoire du non, Alexis Tsipras se voyait «mieux armé» pour repartir à la table des négociations avec les créanciers (UE, BCE, FMI), qui d'ailleurs, selon le ministre des Finances Yanis Varoufakis, ont continué en coulisses cette semaine, avec «un accord plus ou moins scellé».

Deux lectures

Mais l'instauration forcée d'un contrôle du crédit pour parer à un début de panique bancaire, et les discours de plus en plus anxiogènes des créanciers ont convaincu les Grecs que l'enjeu était bien, comme les créanciers le disent, la sortie de l'euro auquel, selon Alco, 74% d'entre eux sont attachés.

«Si les Grecs votent non, la position grecque sera considérablement affaiblie», a de nouveau mis en garde vendredi le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

Le président du Conseil européen, Donald Tusk a, quant à lui, relativisé, conseillant d'éviter les «messages dramatiques».

Dans l'après-midi, Alexis Tsipras a réclamé une baisse de 30% du montant de la dette grecque, et «un délai de grâce» de 20 ans pour son remboursement.

M. Tsipras s'appuie sur un allié de poids, le FMI, qui a jeudi publié un rapport explosif appelant les Européens à de gros efforts sur la dette grecque (176% du PIB), dont ceux-ci ne veulent pour l'instant pas entendre parler.

Le premier ministre a aussi de nouveau appelé le peuple à ne pas céder «aux ultimatums, au chantage et à la campagne de la peur».

«Mon argent est mieux chez moi»

Pendant ce temps, les Grecs continuaient à faire la queue devant les distributeurs pour prendre leurs 60 euros quotidiens - souvent réduits à 50, car il y a de moins en moins de billets de 20 euros en circulation.

Et les retraités dépourvus de carte de crédit devaient patienter pendant des heures devant certaines succursales ouvertes afin de retirer 120 euros pour la semaine.

À Thessalonique, vendredi, l'un d'eux, Giorgos Chatzifotiadi, 77 ans, abattus de n'avoir pas pu percevoir ses 120 euros pour un problème administratif, pleuraient d'épuisement, assis sur le trottoir, ses papiers en vrac près de lui.

Sa photo a fait le tour du monde. Quelques heures plus tard, rasséréné, il confiait à l'AFP : «Je ne peux pas supporter de voir mon pays dans cette misère. C'est pour ça que j'étais abattu, plutôt que par mon problème personnel».

Dans les commerces, l'activité était réduite, les Grecs préférant apparemment épargner tel Kostas, un retraité du quartier athénien populaire de Pangrati : «Mon argent est mieux chez moi».

Au risque d'entraîner une paralysie de la circulation de la monnaie, et d'assécher plus vite que souhaité les liquidités des banques.

Plusieurs responsables ont fait vendredi des déclarations se voulant rassurantes, mais qui, en creux, sèment le doute.

Ainsi, Louka Katseli, directrice de l'Union des banques grecques et dirigeante de la Banque nationale grecque (BNG), a assuré que les banques grecques avaient «des liquidités suffisantes jusqu'à la réouverture des banques prévue pour mardi».

Comme s'il n'y en avait guère pour au-delà, et comme si la réouverture de mardi n'était pas une certitude.

Yanis Varoufakis de son côté a déclaré que la réouverture des banques serait «immédiate» en cas d'accord. Oui, mais, sans accord ? Car le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble a assuré que même en cas de victoire du oui, la reprise des négociations «prendrait un moment».

Dans ce contexte, plusieurs banques ont proposé jeudi d'ouvrir des succursales pour les clients qui souhaiteraient rapporter du liquide, signe peut-être qu'elles commencent à en manquer.

Pour les touristes, il est toujours prévu qu'ils puissent effectuer à leur guise des retraits.

Les scénarios de l'après-référendum

Valentin BONTEMPS (PARIS) - Qu'adviendra-t-il de la Grèce après le référendum de dimanche? Comment réagiront ses partenaires et créanciers? Changement de gouvernement ou statu quo, reprise des négociations, sortie de la zone euro... Voici les scénarios possibles pour Athènes, selon que le Oui ou que le Non arrive en tête.

Le scénario du Oui

Pour le gouvernement emmené par la gauche radicale Syriza, qui a appelé à voter Non, ce résultat serait un désaveu. Cela entraînerait-il sa chute? Le ministre des Finances Yanis Varoufakis a clairement signifié que dans ce cas, il démissionnerait. Le premier ministre Alexis Tsipras, lui, laisse planer le doute.

En cas de chute du gouvernement, deux possibilités s'offriraient à la Grèce. La première: qu'un gouvernement d'unité nationale se forme sur les bases de l'actuel Parlement. Un scénario compliqué, en raison des divergences qui existent entre les partis d'opposition, qui ne disposent pas de majorité, et Syriza.

En cas d'échec, la Grèce devrait se résoudre à mettre en place des élections anticipées. Ce scrutin ne pourrait cependant pas avoir lieu avant 30 jours. Et son résultat serait «incertain», selon Heinrik Enderlein, de l'Institut Jacques Delors, pour qui «Tsipras pourrait à nouveau gagner».

Pour la Grèce, à court d'argent frais, et soumise depuis lundi à un contrôle des capitaux, cette période d'incertitude serait difficilement gérable. Athènes n'a pas remboursé fin juin une échéance de 1,6 milliard d'euros au FMI. Le 20 juillet, elle devra honorer une autre dette, de 3,5 milliards d'euros, à la BCE.

«Même si le oui l'emporte, la Grèce ne sera pas tirée d'affaire», rappelle Agnès Bénassy-Quéré, de l'École d'économie de Paris.

La BCE, jusqu'à présent, a assuré la survie de l'économie grecque en maintenant ses prêts d'urgence (ELA) aux banques grecques. Mais si Athènes venait à lui faire défaut le 20 juillet, il lui serait difficile de maintenir cette position - surtout si aucun accord n'est signé à cette date avec les créanciers.

«Il y aura alors une situation d'urgence. Mais le temps de la politique n'est pas celui de l'économie», insiste Olivier Passet, économiste chez Xerfi.

Selon lui, la mise au point d'un accord définitif, qui devra être ratifié par plusieurs parlements européens, pourrait ainsi prendre «plusieurs semaines». D'autant plus que l'été se profile: le Bundestag allemand, en vacances parlementaires depuis vendredi, devra être rappelé en cas de réunion de l'Eurogroupe pour donner mandat de négociation au gouvernement.

Pour Olivier Passet, «il faudra que des solutions techniques soient trouvées dans l'intervalle» pour permettre à Athènes de rembourser ou reporter ses créances. Mais aussi pour «maintenir à flot» l'économie de la Grèce, où le contrôle des capitaux ne sera sans doute levé «que par étapes».

Le scénario du Non

Pour de nombreux observateurs, une victoire du Non dimanche provoquerait un «saut dans l'inconnu». Avec à la clé une possible tempête économique pour la Grèce, dont l'issue dépendra de l'attitude de ses partenaires européens.

«En cas de Non, la situation sera plus compliquée», estime Olivier Passet. «Tsipras sera conforté, donc la crise politique en Grèce sera atténuée. Mais au niveau de l'Eurogroupe, ça serait extrêmement difficile à gérer», ajoute l'économiste.

Les partenaires d'Athènes accepteront-ils, en effet, de reprendre les négociations? Jean-Claude Juncker a semblé l'exclure, assimilant le Non à un rejet de l'Europe. Alexis Tsipras, lui, s'est montré confiant: un tel résultat mettra «une forte pression» pour obtenir «un accord meilleur», a-t-il martelé.

Dans l'hypothèse d'une rupture complète, la BCE pourrait difficilement continuer d'alimenter les banques grecques. Ces dernières, à sec, se retrouveraient en faillite.

Pour tenter de les recapitaliser, le gouvernement pourrait créer des liquidités avec une monnaie «parallèle», les «IOU» (I Owe You). Des reconnaissances de dettes qui, une fois mises en circulation, se répandraient au secteur privé.

Mais ces titres provisoires pourraient très vite perdre de leur valeur. Le pays connaîtrait alors une inflation galopante. Les épargnants perdraient leurs économies. Et la Grèce, sortie de facto de la zone euro, s'enfoncerait dans le chaos.

Les Européens laisseront-ils le pays sombrer ainsi sans réagir? Pour Vivien Pertusot, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri), cela est peu probable, en raison des risques politiques et économiques qui pèseraient alors sur la zone euro.

Un autre scénario pourrait alors se profiler, qui verrait Athènes et ses créanciers chercher un terrain d'entente. «Les Européens devront dans ce cas se mettre d'accord sur ce qu'ils acceptent de négocier, ce qui ne sera pas simple», prévient toutefois M. Pertusot. Une situation d'incertitude propre à faire durer la zone de turbulences dans laquelle Athènes se trouve plongée.

Qui vote, comment et pourquoi ?

Près de dix millions d'électeurs grecs sont appelés dimanche à voter oui ou non aux mesures d'austérité et de réformes proposées par les créanciers du pays, UE et FMI, lors d'une procédure de référendum exceptionnelle, organisée en seulement neuf jours.

Le dernier référendum en Grèce a eu lieu il y a 41 ans, en 1974. Il avait décidé de la fin de la monarchie au profit de la République.

QUELLE EST LA QUESTION DU VOTE?

La question soumise aux électeurs est la suivante: «Faut-il accepter le plan d'accord soumis par la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) lors de l'Eurogroupe du 25 juin, qui est composé de deux parties : ''Reforms for the completion of the current program and beyond'' (Réformes pour l'achèvement du programme en cours et au delà) et «Preliminary debt sustainability analysis» (Analyse préliminaire de la soutenabilité de la dette).

Il s'agit des contreparties demandées par les créanciers de la Grèce en échange d'une prolongation de leur soutien financier jusqu'en novembre, pour un total de 12 milliards d'euros de la part des Européens, plus un versement de 3,5 milliards d'euros du FMI.

Mais ces propositions, inacceptables pour le gouvernement grec, n'étaient valables que tant que la Grèce bénéficiait d'un programme d'assistance financière internationale. Or ce programme a pris fin le 30 juin.

Sur le bulletin de vote, le «n'est pas accepté/non», soutenu par le gouvernement de la gauche radicale Syriza d'Alexis Tsipras, figure au-dessus du «accepté/oui».

POURQUOI CE RÉFÉRENDUM?

Après cinq mois de négociations infructueuses avec les créanciers, le premier ministre Alexis Tsipras a créé la surprise dans la nuit du 24 au 25 juin en annonçant l'organisation d'un référendum sur les mesures proposées par les créanciers.

L'objectif du gouvernement est, en cas de victoire du non, de renforcer «le pouvoir de négociation» d'Athènes vis-à-vis des créanciers et de conclure «un meilleur accord» avec eux dans «le cadre de la zone euro», selon le gouvernement.

QUI SOUTIENT QUOI?

Les deux partenaires de la coalition gouvernementale, le parti de gauche radicale Syriza d'Alexis Tsipras et la droite souverainiste ANEL soutiennent le non, de même que les néonazis d'Aube Dorée.

Le oui est soutenu par les partis d'opposition : Nouvelle Démocratie (droite), le Pasok (centre-gauche) et To Potami (centre-gauche).

Le Parti communiste (KKE) appelle à voter nul.

QUEL EST L'ENJEU?

Pour les créanciers qui ont multiplié les appels à voter oui, un non signifierait le rejet de l'euro, ou à tout le moins un saut dans l'inconnu pour les relations de la Grèce et la zone euro.

Une victoire du oui remettra en cause la légitimité du gouvernement: le ministre des Finances Yanis Varoufakis a déjà prévenu qu'il démissionnerait si le oui l'emporte.

QUI VA VOTER?

Il y a 9 855 029 personnes inscrites sur les listes électorales. Les électeurs pourront se rendre dimanche dans 19 159 bureaux de vote à travers tout le pays.

Pour encourager la participation et permettre aux Grecs de rejoindre leur lien d'inscription, les péages seront gratuits et il y aura des réductions sur le prix des billets de train, des bus interurbains et des vols domestiques.

Les citoyens issus d'autres pays de l'Union européenne n'ont pas le droit de participer à ce référendum.

Comme pour chaque élection, le million de Grecs résidant à l'étranger doit faire le déplacement jusqu'en Grèce s'il veut voter, ce que peu d'entre eux devaient avoir eu le temps d'organiser.

COMBIEN ÇA COÛTE?

Le ministère de l'Intérieur estime à un peu moins de 25 millions d'euros le coût total du référendum, moitié moins que les élections du 25 janvier dernier, qui ont porté au pouvoir le parti Syriza.

À QUELLE HEURE AURA-T-ON DES RÉSULTATS?

Les bureaux de vote seront ouverts de 7 h (minuit heure de l'Est) à 19 h (12 h heure de l'Est). Les premiers résultats sont attendus vers 21 h (14 h heure de l'Est). L'heure de proclamation des résultats dépendra de l'écart entre le oui et le non.