Cinquante États - dont la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne - ont signé lundi à Pékin l'accord entérinant les statuts de la banque asiatique de développement lancée à l'initiative de la Chine, qui disposera d'un poids prédominant dans l'institution.

L'Australie a été le premier pays à parapher ce document établissant la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (BAII), a constaté l'AFP, lors d'une cérémonie au Grand Palais du Peuple.

Quarante-neuf autres États ont suivi, soit un total de 50 membres fondateurs. Sept autres (Danemark, Pologne, Afrique du Sud, Koweït, Malaisie, Philippines et Thaïlande) devraient les rejoindre d'ici la fin de l'année.

Dotée d'un capital de 100 milliards de dollars (dont 20% seront versés initialement), la BAII doit être opérationnelle d'ici décembre et contribuer à financer des infrastructures en Asie, région où les investissements dans ce domaine font souvent défaut.

«Notre initiative est conçue pour répondre aux besoins de développement en Asie (...), mais aussi pour approfondir les coopérations régionales», a affirmé lundi le président chinois Xi Jinping, évoquant une «étape d'importance historique».

C'est un succès diplomatique pour Pékin, qui a réussi, au-delà de l'Asie et des pays émergents, à rallier une vingtaine de pays occidentaux, désireux de peser sur les statuts de la future institution.

Mais pas les États-Unis, ni le Japon, respectivement 1re et 3e économies mondiales.

Washington avait exprimé de vives réserves, s'inquiétant de l'opacité de la BAII, de sa rivalité avec les organisations de développement existantes, ainsi que du risque que la Chine l'utilise pour ses propres intérêts géopolitiques.

La nouvelle structure constitue de facto un contrepoids au contrôle exercé par les États-Unis sur la Banque mondiale (BM) et --aux côtés du Japon-- sur la Banque asiatique de développement (BAD).

Et Pékin ne cache pas son intention d'en faire un instrument de «soft power», dont profiteront ses entreprises en quête de débouchés internationaux.

Poids de la Chine

Le fonctionnement de la BAII, basée à Pékin, accorde à la Chine un rôle prédominant, du fait même qu'elle en est, de très loin, le plus important contributeur, avec environ 30% des parts.

Ce qui permettra à Pékin d'obtenir 26% des droits de vote, selon le gouvernement.

Or, la majorité qualifiée des trois quarts des voix des membres étant exigée pour certaines décisions structurelles, la Chine disposera ponctuellement d'une minorité de blocage.

«Les droits de vote chinois (...) résultent naturellement des règles décidées par l'ensemble des membres fondateurs», a répliqué Shi Yaobin, vice-ministre chinois des Finances, cité par la presse étatique. «Nous n'avons pas délibérément cherché à nous emparer d'un pouvoir de veto».

Pékin, par ailleurs, «recommandera un solide et puissant candidat» pour la présidence de la banque, a-t-il indiqué.

L'Inde est le deuxième contributeur de l'institution (8,4%), devant la Russie (6,5%). Parmi les États non asiatiques, l'Allemagne est le principal contributeur (4,5% des parts), suivie de la France (3,4%) et du Brésil (3,2%).

Xi Jinping se faisait fort lundi d'afficher une volonté d'ouverture: «Nous voulons entendre vos opinions et vos propositions», a-t-il lancé.

Un test diplomatique

Du côté des Européens, on arguait récemment que les pays hors Asie pourraient également, en votant de concert, bloquer certaines décisions. Par ailleurs, les Occidentaux assurent volontiers avoir surveillé les standards de gouvernance adoptés.

Ses statuts dévoilés lundi indiquent, mais de façon vague, que la BAII agira conformément «à ses politiques opérationnelles (...) notamment en matière d'incidence environnementale et sociale».

Pour autant, le porte-parole du gouvernement japonais Yoshihide Suga réagissait de façon circonspecte: «Nous allons regarder très attentivement, notamment la manière dont (la banque) opère en pratique», a-t-il averti.

De l'avis des experts, alors que Pékin fait de son rôle croissant sur la scène mondiale une composante essentielle de son «rêve chinois», la BAII constituera un test crucial.

La Chine devra ainsi, en dépit de son manque d'expérience, faire preuve de sa capacité à animer une complexe institution multilatérale, tout en étant scrutée par la communauté internationale.

Les activités de la BAII seront pilotées par un conseil d'administration de 12 membres (neuf «régionaux» et trois «non régionaux) élus pour deux ans, mais fonctionnant «de façon non résidente» - un gage d'efficacité et d'économies selon les autorités chinoises.