Il y a encore loin de la coupe aux lèvres pour la ratification de l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, s'il faut se fier aux propos de l'ex-premier ministre français et candidat aux primaires de la droite en vue des élections présidentielles, Alain Juppé.

De passage à Montréal, mercredi, M. Juppé a répété que «la France, d'autres pays européens et le Parlement européen» ont de sérieuses réserves quant au mécanisme de règlement des différends compris dans l'entente conclue en septembre dernier. L'Allemagne a notamment déjà exprimé des réticences semblables.

«Le monde change. On voit bien aujourd'hui que les rapports de force entre certains grands groupes industriels et les États se sont modifiés. Des firmes comme les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) ont une puissance de tir parfois supérieure aux États», a-t-il fait valoir devant la presse montréalaise.

«Les États sont souvent fragilisés et je crois qu'il est légitime qu'ils puissent faire prévaloir leurs préoccupations», a-t-il ajouté.

Selon lui, le mécanisme de résolution de différends doit notamment comprendre une procédure d'appel, être plus transparent et, surtout, maintenir la capacité des États à exercer leurs pouvoirs de réglementation sur leurs territoires.

«Les États ne peuvent pas être mis complètement hors jeu dans ces procédures. (...) Il faut comprendre que les États, qui sont porteurs de la légitimité démocratique des nations, puissent faire prévaloir un certain nombre de préoccupations», a-t-il dit.

M. Juppé, qui est aussi maire de Bordeaux, n'a pas voulu se prononcer sur la réceptivité du Canada à rouvrir les discussions, mais il semblait clair dans son esprit qu'il n'aurait guère le choix.

«Il y aura forcément des discussions. Comme il y a une volonté partagée de conclure cet accord de façon définitive et de le ratifier, je suis convaincu qu'on trouvera des solutions», a-t-il dit.

Par ailleurs, Alain Juppé a balayé du revers de la main les inquiétudes sur un possible éloignement entre les gouvernements de la France et du Québec, notamment à la suite de réductions de budget ou même de l'élimination de certaines structures consacrées aux liens franco-québécois, ainsi que de l'augmentation des droits de scolarité des étudiants français dans les universités québécoises.

«Nous avons été un peu surpris par la décision unilatérale concernant les frais d'inscription de nos étudiants, a-t-il admis. On en a parlé, on a discuté, on a négocié, on a trouvé une solution qui n'est peut-être pas idéale, mais enfin qui est un compromis acceptable. Lorsqu'il y a une volonté politique de trouver des accords, on y arrive», a-t-il dit.

Il estime au contraire que les relations actuelles entre la France et le Québec sont excellentes et qu'elles ne se fondent pas uniquement sur l'histoire mais sont plutôt tournées vers l'avenir dans une perspective d'échanges et de coopération économique.

«Entre deux pays qui partagent la même langue, les échanges économiques sont beaucoup plus intenses qu'entre deux pays qui ne la partagent pas. À la fois au nom de l'histoire, mais aussi au nom de l'avenir, nous avons tout intérêt à maintenir ce lien exceptionnel entre nos pays et nos nations», a-t-il affirmé, tout en se disant davantage en faveur d'une «amitié constructive» que d'une politique de «non-ingérence et non-indifférence», sans renier cette dernière pour autant.

M. Juppé est au Québec pour deux jours à l'invitation de Manufacturiers et exportateurs du Québec afin de rencontrer des gens d'affaires. Il prononçait également une allocution devant le Conseil des relations internationales de Montréal.