Les nouveaux dirigeants grecs poursuivaient mercredi leur tournée européenne, avec un passage à Francfort du ministre des Finances venu demander de quoi «garder la tête hors de l'eau», tandis qu'à Bruxelles Alexis Tsipras voulait croire en «une solution viable».

«Je suis très optimiste quant au fait que nous allons faire de notre mieux pour trouver une solution commune viable pour notre futur», a déclaré à l'issue d'entretiens avec les présidents des trois institutions de l'UE (Commission européenne, Conseil et Parlement européen) le nouveau Premier ministre grec.

Le grand argentier grec Yanis Varoufakis a pour sa part passé un peu plus d'une heure au siège de la Banque centrale européenne (BCE) dans la capitale financière allemande dans la matinée. À la sortie, il a déclaré avoir eu «des discussions fructueuses» avec le président de la BCE Mario Draghi, sources de «vif encouragement pour l'avenir».

La banque centrale joue un rôle pivot dans la course contre la montre de l'État grec avec le défaut financier. «La BCE doit soutenir nos banques pour que nous puissions garder la tête hors de l'eau», a enjoint M. Varoufakis dans un entretien à l'hebdomadaire allemand Die Zeit, publié mercredi, où il reconnaît être «ministre des Finances d'un État en faillite».

Les banques grecques sont les principales acheteuses des obligations grecques, par lesquelles le pays se finance à court terme. Et c'est essentiellement la BCE, par le biais de deux mécanismes de prêts - l'un «ordinaire», conditionné au programme international d'aide dont bénéfice Athènes, et un autre d'urgence - qui alimente les banques grecques en liquidités. Le conseil des gouverneurs de l'institution pourrait choisir de ne pas renouveler mercredi le mécanisme d'urgence, ce qui serait très problématique.

Athènes, qui a levé avec succès mercredi un peu plus de 800 millions d'euros d'obligations à court terme, réclame «un financement intermédiaire» jusqu'au 1er juin, a dit M. Varoufakis à Die Zeit, date à laquelle il espère s'être entendu avec ses partenaires européens sur le devenir de la dette et une éventuelle nouvelle aide - dont Athènes estime pour le moment ne pas avoir besoin. Le programme en cours arrive à échéance à la fin du mois.

«Contraintes et règles»

Mais M. Varoufakis a reconnu au sortir de l'entretien avoir évoqué avec M. Draghi «les contraintes, les règles, les régulations et le processus» selon lesquels la BCE accorde ses aides, sous-entendant que le président de la BCE était peu enclin à outrepasser les règles très strictes qui encadrent son soutien des banques grecques.

MM. Tsipras et Varoufakis cherchent à convaincre la zone euro de la nécessité d'alléger le fardeau de la dette grecque et de réorienter la politique économique de l'Europe. Ils étaient à Rome mardi, dans le cadre de la tournée d'autopromotion qui a déjà mené M. Varoufakis à Paris et à Londres. M. Tsipras rencontrera le président François Hollande à Paris dans l'après-midi.

M. Varoufakis pour sa part est attendu à Berlin jeudi matin, pour une entrevue avec son homologue allemand Wolfgang Schäuble. Il s'est dit «extrêmement impatient» de ce premier contact bilatéral, tout en appelant dans Die Zeit les Allemands, ardents défendeurs de la rigueur budgétaire honnie par la nouvelle équipe aux manettes à Athènes, à «écouter ce que (les Grecs) avaient à dire».

Dans un entretien à l'hebdomadaire Stern, le vice-chancelier du gouvernement d'Angela Merkel, le social-démocrate Sigmar Gabriel, s'est inscrit en faux contre l'image d'une Grèce «victime» de ses partenaires européens. Mais «notre message à l'encontre de la Grèce a trop longtemps été: 'économisez!'», a-t-il reconnu, rejoignant le président du Conseil italien Matteo Renzi, hôte des Grecs la veille.

M. Varoufakis, qui peut se targuer du soutien du président américain Barack Obama, a promis de mettre sur la table la semaine prochaine ses propositions concrètes, lors d'une réunion des ministres des Finances de la zone euro, l'Eurogroupe, qui devrait se tenir le 11 février.

Une proposition est déjà dans le domaine publique, qui verrait Athènes échanger une partie de sa dette en circulation contre des obligations indexées sur le taux de croissance de l'économie grecque. Les Européens n'y ont pas vraiment réagi pour le moment.

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La BCE au centre des efforts d'Athènes pour rester à flot

La Banque centrale européenne (BCE) joue un rôle clé pour la survie financière immédiate d'Athènes, car elle maintient à flot les banques grecques, qui doivent elles-mêmes permettre à l'État grec de se financer - mais pour combien de temps encore?



QUESTION: Comment la BCE vient-elle en aide à la Grèce, et plus spécifiquement aux banques grecques?



REPONSE: La BCE fournit des liquidités aux banques de la zone euro sous forme de prêts, cela fait partie intégrante de son rôle de banque centrale. Comme n'importe quels prêts dans l'économie, ces prêts sont assortis de garanties. Les titres que les banques ont en portefeuille, par exemple des obligations souveraines, remplissent cette fonction de garanties - «collatéraux» en jargon des banques centrales.

La BCE n'accepte comme «collatéraux» que certains titres, ceux qui sont le mieux notés par les agences de notation, c'est-à-dire qui sont le moins risqués. Sinon elle mettrait en péril l'argent des contribuables européens.

Les banques grecques ont surtout des obligations émises par l'État grec à apporter en garantie, mais celles-ci sont notées comme des «titres pourris» et ne remplissent pas les critères de la BCE. La Grèce bénéficie donc d'une exemption: la BCE accepte ses titres de dette publique grecque comme collatéraux. Ce régime de faveur est un élément du programme international d'aide dont bénéficie la Grèce, et qui prend fin à la fin de février.

La BCE a bien fait comprendre que si Athènes choisissait de s'affranchir d'un tel programme, les banques grecques arrêteraient de bénéficier de ce régime d'exception. Par ricochet cela poserait un problème de financement à l'État grec, dont les banques grecques sont le client numéro un de titres de dettes. Athènes est revenu l'an dernier sur les marchés, après plusieurs années d'abstinence.

Au-delà de ses prêts ordinaires, la BCE aide également les banques grecques par le biais du mécanisme d'urgence ELA («Emergency Liquidity Assistance»). Celui-ci prévoit la fourniture de monnaie par une banque centrale nationale, la Banque centrale grecque en l'occurrence, à des institutions financières confrontées à des problèmes temporaires de liquidité. Le conseil des gouverneurs de la BCE doit se prononcer mercredi sur le renouvellement des fonds ELA.

D'après l'interprétation donnée par les analystes du bilan financier hebdomadaire de l'eurosystème publié mardi par la BCE, quelque 3,5 milliards d'euros de fonds ELA semblent avoir été utilisés la semaine dernière, vraisemblablement par les banques grecques.

Q: Qu'attend la Grèce de la BCE?

R:Trois choses: lui permettre d'emprunter plus sur les marchés, continuer à accorder les financements ELA à ses banques, et accepter de négocier sur la dette.

Selon les accords passés avec la «Troïka», organe qui contrôle la mise en oeuvre par Athènes des réformes consenties en contrepartie de l'aide de ses partenaires, le montant de dette à court terme que la Grèce peut émettre jusqu'à la fin du programme d'aide est plafonné à 15 milliards d'euros. Athènes voudrait pouvoir emprunter 10 milliards d'euros de plus pour faire face aux besoins des mois à venir, un «financement intermédiaire» qui lui permettrait de se passer de la dernière tranche du programme honni (7 milliards d'euros) et d'arriver d'ici le 1er juin à un accord avec ses partenaires sur la suite des événements.

Selon le Financial Times la BCE est opposée à un relèvement de ce plafond. L'UE et le Fonds monétaire international (FMI), les deux autres membres de la Troïka, auraient aussi leur mot à dire, mais sans l'accord de la BCE il paraît difficilement concevable que cela se fasse.

Pour les banques grecques - et donc pour l'État grec - pouvoir continuer à compter sur le financement ELA est également crucial.

Enfin, la BCE est créancière de la Grèce, à hauteur d'environ 25 milliards d'euros, après avoir acheté depuis 2010 des obligations grecques sur le marché secondaire pour aider le pays. Le gouvernement d'Alexis Tsipras veut donc négocier avec elle, comme avec les autres créditeurs, un allègement de la dette.

Q: Que se passe-t-il mercredi?

R: Le conseil des gouverneurs (les 19 gouverneurs des banques centrales nationales et les six membres du directoire) tient une réunion de routine. Comme toutes les deux semaines, il doit décider s'il renouvelle ou non le mécanisme ELA pour les banques grecques.

À la majorité des deux tiers, le conseil de la BCE peut décider de limiter voire arrêter ces opérations, s'ils les jugent contraires aux objectifs de sa politique.