De passage à Montréal la semaine dernière, l'ancien président de la Réserve fédérale, Ben S. Bernanke, a effleuré une panoplie de sujets touchant l'économie mondiale, incluant le marché du travail et les technologies.

Dans son allocution, l'économiste s'est notamment inquiété des avancements technologiques qui, s'ils sont trop rapides, risquent de détruire des emplois en plus d'accroître l'écart entre riches et pauvres.

Peut-être que l'ex-grand argentier des États-Unis, qui a probablement plus de temps libre ces temps-ci, en est venu à cette conclusion en visitant la quincaillerie Lowe's de son quartier.

Ce détaillant américain vient d'«embaucher», à titre d'essai dans certains magasins, des robots pour servir ses clients. Ces petites merveilles circulant dans les allées sont équipées de caméras 3D, qui peuvent «scanner» le boulon ou la vis que vous lui montrez... pour ensuite vous guider à l'étagère où Lowe's en offre des boîtes pleines.

Or, M. Bernanke n'est pas seul à s'inquiéter. En Europe ces temps-ci, l'un des sujets chauds dans les sphères économiques est la numérisation et la robotisation accélérée du travail. De plus en plus de gens en ont peur.

Des millions d'emplois menacés

Deux études étoffées, publiées ce mois-ci, sonnent d'ailleurs l'alarme sur le «nouvel âge des machines», qui menace des millions de travailleurs.

Au Royaume-Uni, par exemple, la prolifération des robots/ordinateurs met en péril un emploi sur trois d'ici 20 ans, préviennent des chercheurs de la firme Deloitte et de l'Université Oxford.

Secrétaires, agents de voyage et autres emplois de bureau sont parmi les plus exposés à la concurrence des «machines savantes». Le phénomène est déjà bien entamé, car le nombre de ces emplois a fondu de 40% depuis 2001, nous dit l'étude.

En France, c'est pas moins de 3 millions d'emplois que les robots détruiraient d'ici 2025, avance pour sa part la réputée firme de conseils stratégiques Roland Berger.

Selon la boule de cristal de cette société établie à Munich, en Allemagne, la plupart des secteurs perdraient des emplois, sauf l'éducation, la santé et la culture. La construction, l'agriculture et même la police seront les plus touchées.

La robotisation/numérisation menace surtout la classe moyenne, y compris «les classes moyennes supérieures», explique un expert de Roland Berger, cité sur un site web techno. On parle ici de professions intellectuelles, comme les comptables, les journalistes ou les juristes, dont certaines tâches peuvent être accomplies par des automates, ce qui explique en partie le chômage persistant dans certains secteurs.

Évidemment, l'automatisation a aussi son bon côté. Les machines font éclore de nouveaux métiers, en informatique et en robotique d'abord, en plus de libérer des travailleurs pour des tâches plus complexes ou plus stimulantes.

Ainsi, l'automatisation entraînera, en France, des retombées (recettes et économies) de 30 milliards d'euros (43 milliards CAN) d'ici 10 ans, évalue Roland Berger. Une belle manne économique, donc.

Le problème, par contre, évoquait lui-même M. Bernanke, c'est qu'il y aura des perdants, surtout parmi les moins nantis.

«Ceux qui gagnent moins de 30 000 livres sterling par an [54 000$CAN] risquent cinq fois plus d'être remplacés par des robots que ceux qui gagnent plus de 100 000 livres [180 000$CAN]», affirme l'étude Deloitte-Oxford.

«Le fossé entre riches et pauvres [risque] de se creuser avec l'avancée des robots», prévient Rory Cellan-Jones, un spécialiste des technologies cité par la BBC.

Aux yeux des experts, le mouvement semble irréversible. Et ce, même dans le secteur des services. Hôtesses, chauffeurs de taxi, aides ménagères ou même partenaires sexuels, les robots peuvent déjà en faire beaucoup. L'an dernier, des «actroïdes», des robots humanoïdes du japonais Khoro Company, ont joué dans des pièces de théâtre (Seinendan Theater Company) qui ont fait le tour du monde.

Après la mondialisation, c'est au tour de la robotisation de passer à l'avant-scène.

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DE L'USINE AU SALON: LES AUTOMATES GAGNENT DU TERRAIN

> Les ventes de robots industriels augmentent de près de 40% par an depuis 2010, avec un record de 166 000 unités vendues dans le monde en 2012.

> Qui en a acheté le plus? Le Japon (28 000, 16% du total), suivi de la Corée du Sud (25 500) et de la Chine (22 000). Plus du tiers des robots (36%) servent l'industrie automobile.

> La robotisation progresse aussi dans le secteur des services. Plus de 45 000 robots conçus à cette fin se sont vendus dans le monde de 2009 à 2012, dont 40% à des fins militaires (drones).

> Quant au marché à usage personnel, il est en pleine ascension. À la fin de 2015, 15 millions de robots - du simple aspirateur à l'aide ménagère - serviront dans les foyers du monde.

Sources: Roland Berger, worldrobotics.org, latribune.fr