Avant la crise économique qui a ébranlé le Portugal, la céramiste Maria Joao Ribeiro se considérait essentiellement comme une artiste. Aujourd'hui, elle continue de créer des oeuvres uniques, mais elle conçoit aussi des pièces au design plus accessible et attrayant aux yeux des touristes.

«Je vends aussi des vêtements et des bijoux de Bali, indique-t-elle. Il y a quatre ans, il a fallu que j'offre d'autres produits plus vendeurs dans ma boutique, car j'ai perdu mon emploi à temps partiel dans un centre pédagogique.»

Le soleil tombe. Nous rencontrons Maria dans sa boutique-atelier du vibrant quartier Bairro Alto, alors que son mari et son fils sont en vacances à l'extérieur de la ville.

«Contrairement aux dernières années, je serai à Lisbonne tout le mois d'août, précisément parce que c'est le mois le plus touristique et que je dois en profiter!», lance la femme née au Mozambique.

«Ville la plus cool d'Europe»

Avec une capitale aux airs de San Francisco, le Portugal peut miser sur le tourisme religieux, juif, gastronomique, côtier, vinicole, historique, et branché. Récemment, CNN a élu Lisbonne «ville la plus cool d'Europe».

Grâce à une campagne efficace et peu coûteuse sur le web, le Bureau du tourisme du Portugal peut se féliciter. L'an dernier, 15 millions de touristes ont dormi dans les hôtels portugais, soit 4,2% de plus qu'en 2012.

Au total, les touristes étrangers y ont dépensé plus de 9 milliards d'euros en 2013. «Le tourisme est le secteur qui a le plus soutenu la balance commerciale. Ces chiffres sont des sommets», a déclaré en février dernier Antonio Pires de Lima, ministre de l'Économie.

La croissance se poursuit. «2013 a été la meilleure année pour le tourisme au Portugal, mais 2014 pourrait être encore meilleure», titrait récemment le quotidien de Lisbonne Diário de Notícias.

Alors que les touristes multiplient les achats dans le quartier Chiado, les Lisboètes multiplient les efforts pour surmonter la crise économique. Beaucoup se tournent vers le tourisme pour gagner leur vie.

Ricardo est l'un de ceux-là. Il vient de perdre son emploi dans une entreprise web. Heureusement qu'il peut compter sur Airbnb pour boucler son budget. À 600$ par semaine en haute saison, les deux appartements qu'il loue près du parlement sont une aubaine.

«J'ai aimé la crise»

Par hasard, La Presse a fréquenté plusieurs boutiques et restaurants qui ont ouvert leurs portes au cours de la dernière année.

«J'ai aimé la crise car elle a modernisé Lisbonne et stimulé la créativité des Lisboètes, qui avaient l'habitude de se plaindre pour rien», lance Marisa Palma, qui travaille dans une boutique design du district artistique LX Factory.

«La ville est plus belle qu'il y a cinq ans, opine Bruno Gomes, fondateur de We Hate Tourism Tours, qui offre des visites guidées alternatives. Depuis un an, le gouvernement veut stimuler le tourisme et il est enfin moins bureaucratique.»

Pour Bruno Gomes, «ce néolibéralisme a toutefois du bon et du mauvais» pour sa ville natale. «Beaucoup de gens se cassent la gueule en ouvrant des commerces.»

Les employés de M. Gomes ont un passé professionnel qui incarne le taux élevé de chômage causé par la crise. On retrouve un ancien chef, une ex-journaliste, un dentiste de formation et un mécanicien. «Tous ont Lisbonne à coeur, dit Bruno. Des investisseurs m'ont offert beaucoup d'argent, mais je veux faire les choses à ma manière.»

«Un peu hors de contrôle»

Graphiste de formation, le jeune entrepreneur déplore la prolifération des tuk-tuks (tricycles motorisés), «l'airbnbisation du quartier Alfama» et le flot d'investisseurs étrangers qui acquièrent et rénovent des bâtiments historiques. «C'est un peu hors de contrôle.»

Récemment, le quotidien français Le Monde décrivait le Portugal «comme un eldorado fiscal des retraités étrangers». Le South China Morning faisait état des «visas dorés» et des «milliardaires chinois qui monopolisent les visas portugais».

Un autre phénomène déplaît de plus en plus aux Lisboètes: les dizaines de milliers de touristes qui peuvent débarquer chaque jour des bateaux de croisière. «Cela altère l'esprit authentique de Lisbonne», dit Bruno Gomes.

Des signes de reprise

Les touristes affluent, donc, avec tout ce que cela apporte de bon et de moins bon. L'économie du pays en profite, mais elle aura besoin d'autres remèdes aussi.

Économiste de formation, Manfred Kleinhans est le gérant de Chafariz do Vinho, un bar à vin très réputé de Lisbonne. L'homme d'origine allemande a le regard triste quand on évoque la crise économique. «La classe moyenne a perdu 25% de ses revenus», rappelle-t-il.

Au-delà du succès touristique du Portugal, le pays devra trouver «quelque chose à exporter», dit l'ancien économiste.

Quoi qu'il en soit, l'économie portugaise montre des signes de reprise. Le président allemand Joachim Gauck l'a dit lui-même lors d'une visite d'État en juin dernier.

«Les entreprises allemandes veulent faire partie de cette évolution positive», a-t-il déclaré après avoir visité une usine de Volkswagen.

Photo Émilie Côté, La Presse

PHOTO PATRICIA DE MELO MOREIRA, AFP