La Banque centrale européenne (BCE) a étoffé encore un peu plus jeudi son arsenal pour soutenir l'économie chancelante en zone euro, tout en mettant en garde contre les limites de son action et en appelant les gouvernements à l'épauler.

Déjouant les attentes des analystes, l'institution monétaire de Francfort a abaissé pour la septième fois en moins de trois ans son principal taux directeur à 0,05%, le plus bas niveau de son histoire. La dernière baisse, à 0,15%, datait de juin.

Le taux de prêt marginal est quant à lui passé de 0,40% à 0,30% et le taux de dépôt de -0,10% à -0,20%.

Cette décision était «particulièrement inattendue», estime Chris Williamson, analyste chez Capital Economics. Le président de la BCE Mario Draghi avait lui-même prédit en juin que les taux ne pourraient guère aller plus bas.

Stimuler le marché du crédit 

En parallèle, la banque centrale, qui avait dévoilé en juin plusieurs mesures de soutien à la croissance dont des prêts bancaires ciblés et à très long terme (TLTRO), a annoncé vouloir procéder à partir d'octobre au rachat «d'un large portefeuille» de titres adossés à des créances (ABS) et d'obligations sécurisées, dont les contours exacts doivent être précisés ultérieurement.

Les ABS sont des produits de titrisation adossés à des crédits, le plus souvent regroupés en paquets. Cette pratique de saucissonnage et regroupement de la dette, largement abandonnée en Europe depuis la crise des subprimes, est une manière de fluidifier et stimuler le marché du crédit.

Les mesures «contribueront à un retour (de l'inflation) à un niveau plus proche de 2%», qui est la cible officielle de la BCE pour la zone euro, a assuré jeudi M. Draghi lors de sa traditionnelle conférence de presse mensuelle.

Les annonces ont en tout cas profité aux Bourses européennes jeudi, et fait dégringoler l'euro face au dollar, tout en s'attirant les louanges de la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) Christine Lagarde.

Elles ne «seront pas d'une grande aide», a toutefois réagi Michael Kemmer, directeur de la fédération allemande des banques privées, car «la faible croissance des crédits au sein de l'union monétaire est enracinée avant tout dans la faible solvabilité des emprunteurs dans de nombreux pays».

Des doutes semblent exister même au sein du conseil des gouverneurs de la BCE, qui a approuvé le programme avec «une majorité confortable», mais sans unanimité, selon M. Draghi.

Le gardien de l'euro a été contraint de reconnaître que l'institution arrive à court de munitions et qu'elle n'a plus les moyens de tirer à elle seule la zone euro hors du marasme économique.

Priorité aux réformes structurelles 

La BCE a abaissé jeudi ses prévisions d'inflation au sein de la région pour 2014, de 0,7% à 0,6%, et révisé en baisse ses attentes en matière de croissance du produit intérieur brut (PIB) pour 2014 et 2015, désormais fixées à 0,9% et 1,6%, contre 1% et 1,7% précédemment.

L'institution, qui a multiplié les interventions ces dernières années, estime que la balle est désormais dans le camp des gouvernements. «Il faut de la croissance, (...) des politiques budgétaires, il faut des réformes structurelles avant tout, il faut que chacun fasse son travail», a martelé M. Draghi.

Et cette répartition des rôles n'implique aucunement un relâchement de la discipline budgétaire des capitales européennes, a-t-il ajouté, estimant au passage avoir été «surinterprété» lors d'une récente intervention très remarquée à Jackson Hole, aux États-Unis, dans le cadre d'un symposium monétaire.

Il avait plaidé pour une action plus vigoureuse des États pour soutenir la demande, ce que certains - notamment en France et en Italie - avaient vu comme une invitation à laisser à nouveau filer les déficits.

Réaffirmant son attachement aux règles européennes - qui imposent aux pays de l'union monétaire des plafonds de dette et de déficit - M. Draghi a appelé jeudi de ses voeux «un cadre» structuré et commun dans lequel les pays pourraient mener leurs réformes.

Draghi forcé d'admettre que les pouvoirs de sa BCE ont leurs limites

Le président de la BCE Mario Draghi a déjà sauvé une fois la zone euro mais il est forcé de reconnaître que ses pouvoirs ne suffiront pas à renouveler l'exploit si les gouvernements européens n'y mettent pas du leur.

Après un arsenal conséquent de mesures en juin, la Banque centrale européenne a encore frappé jeudi avec une nouvelle baisse de taux - la septième en moins de trois ans  - et l'annonce d'un programme non quantifié de rachat de titres de dette.

Objectif: revivifier le marché du crédit, condition pour faire repartir la machine économique et lutter contre le risque de déflation.

Mais M. Draghi a également prévenu: «Il sera très difficile d'atteindre l'objectif d'une inflation proche de 2% sur la base de la politique monétaire (...); il faut des politiques budgétaires, il faut des réformes structurelles avant tout, il faut que chacun fasse son travail».

«On a le sentiment que la BCE met tout sur la table et que Mario Draghi nous dit que la politique monétaire ne peut pas tout», a réagi pour l'AFP Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole CIB.

«Le fait que les annonces d'aujourd'hui surviennent trois mois seulement après le dernier feu d'artifice monétaire montre à quel point la BCE est inquiète», renchérit Carsten Brzeski, de la Banque ING. Pour lui l'institution a «presque entièrement vidé sa caisse à outils» d'instruments.

Garder la face 

En août 2012, il avait suffi à M. Draghi, alors en poste depuis quelques mois seulement, de quelques mots («whatever it takes») pour éviter l'implosion d'une zone euro en pleine crise. L'institution n'avait même pas eu à dégainer le fameux programme annoncé ce jour-là à Londres.

Deux ans plus tard les choses sont plus compliquées. La zone euro est en plein marasme, le contexte géopolitique explosif et l'évolution des prix bien loin de l'objectif de la BCE.

«Rien faire n'est pas une option» pour celle-ci et son président, analyse Marcel Fratzscher, président de l'institut de recherche allemand DIW, pour qui «les nouvelles mesures reflètent la tentative de la BCE de garder la face vis-à-vis des marchés et des entreprises».

Mais dans le même temps, Mario Draghi lui-même qualifie la baisse des taux décidée jeudi d'«ajustement technique», preuve s'il était besoin qu'il ne se fait pas beaucoup d'illusions sur ses effets sur l'économie.

Quant aux autres mesures, elles sont certes à même de donner un coup de pouce au marché du crédit, mais, comme le faisait remarquer récemment le ministre des Finances Wolfgang Schäuble, ce sont avant tout les perspectives de rentabilité qui président aux décisions d'investissement - la mise à disposition de liquidités seule ne fait pas repartir l'économie.

Courtiser Berlin

Cela, M. Draghi le sait. Aux côtés de la politique monétaire, «il faut de la croissance», a-t-il martelé jeudi, et c'est aux gouvernements d'en créer les conditions, par le biais de la politique budgétaire et de réformes structurelles. Trois piliers qui ne sont pas sans rappeler les «Abenomics» du président japonais Shinzo Abe, note Chris Williamson, du cabinet Markit.

Pas question pour autant de laisser filer les déficits, prévient M. Draghi. Dans des propos tenus récemment aux États-Unis, certains avaient voulu voir une déviation de cette ligne, alors qu'en Europe le débat entre tenants d'une stricte orthodoxie budgétaire - l'Allemagne - et partisans d'un relâchement de la bride pour soutenir la croissance - Paris, Rome - a repris de plus belle.

Pour Christian Schulz, de la banque Berenberg, en insistant sur les réformes, M. Draghi caresse Berlin dans le sens du poil. «Si la BCE veut aller plus loin», et brûler sa dernière cartouche, l'achat massif de dette souveraine, «elle a besoin du soutien tacite de Berlin», et elle ne l'aura qu'en prêchant la bonne parole des réformes structurelles, analyse-t-il.

Les mesures de la BCE aideront à «contrer» la faible inflation en Europe, dit le FMI

La directrice générale du FMI Christine Lagarde a salué jeudi les nouvelles mesures annoncées par la Banque centrale européenne, dont le lancement d'un programme de rachats d'actifs, estimant qu'elles contribueront à «contrer» la faible inflation dans la zone euro.

«Nous saluons vivement les mesures prises par la BCE qui vont contribuer à contrer les dangers posés par une période prolongée de faible inflation», a commenté la patronne du Fonds monétaire international dans un communiqué.

L'institut monétaire européen a abaissé jeudi ses taux d'intérêt et annoncé le lancement d'un programme de rachats de produits financiers adossés à des titres de créance (ABS) afin de faire face à la dégradation de la conjoncture en Europe.

Le président de la BCE Mario Draghi a toutefois assuré que la politique monétaire ne pourrait pas à elle seule permettre d'enrayer l'orientation à la baisse de l'inflation, autre symptôme d'une activité en berne dans la région.

À plusieurs reprises au cours des derniers mois, la patronne du FMI a appelé la BCE à assouplir davantage sa politique monétaire pour éloigner le spectre d'une déflation, suscitant une certaine irritation au sein de l'institution de Francfort.