Il y a deux Amériques latines: celle de l'Est, avec l'Argentine et le Venezuela, qui vacillent au bord du précipice économique, et les «petits jaguars» de l'Ouest, dont la Colombie et le Pérou, qui poursuivent une croissance très enviable. Portrait.

Dans un contexte de grandes tensions, l'Argentine s'est retrouvée jeudi en défaut de paiement d'une partie de sa dette, ébranlant les Bourses mondiales et les marchés obligataires. Or, ce nouveau faux pas du pays maître du tango met en évidence le fossé croissant entre les «deux Amériques latines».

Certains experts, comme ceux de la banque Morgan Stanley, parlent de la «grande fracture» qui sépare maintenant l'Ouest et l'Est sud-américains. Certes, sur le plan économique, tous les «jaguars» ne courent pas à la même vitesse.

Selon le Fonds monétaire international (FMI), les pays de la côte atlantique - dont le Brésil, l'Argentine et le Venezuela - ne connaîtront qu'une maigre croissance de 0,6% en moyenne cette année.

Dans les pays du Pacifique (Colombie, Chili, Pérou), la croissance attendue est de 4,2% en moyenne. Sept fois celle de leurs voisins de l'Est.

Les économies rebelles

Économistes et investisseurs s'inquiètent surtout des deux «cas lourds» du côté atlantique. L'Argentine et le Venezuela, deux économies «rebelles» dirigées par des gouvernements de gauche souvent rébarbatifs au libre-échange et aux forces du marché, affrontent une tempête économique et financière majeure.

Tant qu'ils surfaient sur les prix élevés des matières premières, c'était tenable. Mais lorsque la Chine a commencé à ralentir, il y a deux ans, et que les cours du pétrole et des métaux se sont repliés, ces deux pays ont retrouvé leurs vieux démons: panne économique, chute des monnaies, hyperinflation (35% en taux annuel pour l'Argentine, plus de 50% pour le Venezuela) et fuite des capitaux. Résultat: l'Argentine et le Venezuela sont au bord du gouffre.

Dans l'Ouest, c'est tout le contraire qui se produit.

La Colombie, le Chili et le Pérou, portés par des réformes économiques, une politique libre-échangiste et une solide croissance économique, sont vus comme de futures vedettes parmi les pays émergents de la planète.

La «jolie fille convoitée»

Sans gêne, le président de la Colombie, Juan Manuel Santos, parle de son pays comme de la «jolie fille convoitée» du continent. L'Alliance du Pacifique, créée en 2011 par le Mexique, la Colombie, le Pérou et le Chili, est en effet très demandée, ces temps-ci.

Ses membres ont signé un accord de libre-échange historique en mai. Les présidents des quatre pays les plus libéraux du sous-continent ont amorcé leur union commerciale, qui prévoit d'abolir 92% des droits de douane d'ici à 2015.

L'initiative, qui regroupe 212 millions d'habitants et pèse 35% du PIB d'Amérique latine, séduit déjà les autres pays de la région: le Costa Rica a entamé une procédure d'adhésion et le Panama devrait suivre. Surtout, 25 autres pays - dont la Chine, les États-Unis et le Canada - ont obtenu le statut d'observateur de l'alliance, ne pouvant pas rater pareille occasion de se rapprocher d'une vedette montante.

«Ce n'est plus nous qui allons frapper aux portes, c'est le monde qui vient à nous», s'est réjoui récemment le président colombien. Les quatre membres de l'Alliance du Pacifique revendiquent déjà la moitié du commerce latino-américain avec le reste de la planète.

Quant à la vieille union douanière du Mercosur (âgée de 23 ans), qui réunit l'Argentine, le Brésil, le Paraguay, l'Uruguay et le Venezuela, elle est minée par les querelles entre les fondateurs argentin et brésilien. Et elle semble surtout de plus en plus éclipsée par le bloc de l'Ouest, qui totalise déjà 60% d'exportations de plus que lui.

La Colombie, par exemple, s'attire même les louanges des économistes malgré 50 ans de conflit armé avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et la guerre aux trafiquants de drogue.

Ce pays de 46,5 millions d'habitants a vu son PIB doubler en 14 ans. Grâce à ses ressources et à la demande intérieure, son économie se dirige vers une croissance de 4,5% cette année, selon le FMI, et ce, avec une inflation contenue à 2,7% - un exploit en Amérique latine.

En somme, l'Argentine trébuche lamentablement, ces temps-ci. Mais il ne faut pas oublier que, côté pacifique, d'autres pays avancent à grands pas.