Le juge américain qui gère l'épineux dossier de la dette argentine a enjoint vendredi Buenos Aires et les fonds «vautours» avec qui elle est en conflit de continuer à négocier, alors que la troisième économie d'Amérique latine est en défaut de paiement depuis mercredi.

À l'issue d'une courte réunion d'à peine une heure, au cours de laquelle aucune décision n'a été prise, le juge a par ailleurs rejeté une demande des avocats de l'Argentine de trouver un remplaçant au médiateur nommé par la justice, Daniel Pollack, Buenos Aires estimant ne plus avoir confiance en son rôle après l'échec des négociations mercredi. L'Argentine a aussi pointé la «vision partiale» du juge Griesa.

«Il faut arrêter avec toute idée de perte de confiance. Ce en quoi l'on peut avoir confiance c'est dans des propositions, des recommandations. C'est ce qui importe», a affirmé le juge lors de l'audience.

Le défaut de paiement de l'Argentine porte sur 539 millions de dollars, une somme versée par la Banque centrale d'Argentine le 26 juin, mais bloquée à New York par une décision judiciaire. Le juge veut en effet qu'avant de verser cette somme à ses créanciers, Buenos Aires rembourse deux fonds «vautours», Aurelius et NML, qui réclament de leur côté 1,3 milliard de dollars.

Si les négociations entre l'Argentine et les fonds «vautours» ont échoué, il subsiste l'espoir d'une solution impliquant des banques internationales proposant de racheter la dette, dont l'Américaine JPMorgan.

«Les banques rachèteraient 100% de la dette due par l'Argentine aux holdouts qui ont gagné en justice contre l'Argentine et verraient ensuite comment se faire rembourser par Buenos Aires», avance l'économiste argentin Guillermo Nielsen.

Pour la présidente de centre-gauche Cristina Kirchner, l'Argentine n'est pas en défaut de paiement. «Défaut sélectif? Cela n'existe pas», a-t-elle insisté. «Le défaut, c'est de ne pas payer. Nous avons la volonté de dialoguer mais nous devons défendre nos droits et les intérêts du pays», a-t-elle souligné.

Pays fragilisé

«Que ce monde mette un frein aux fonds vautours et aux banques insatiables qui veulent s'enrichir avec une Argentine à genoux», a-t-elle ajouté.

Ces protestations n'ont pas empêché l'agence de notation Fitch de déclarer jeudi l'Argentine en «défaut partiel», comme l'avait fait la veille Standard and Poor's, tandis que Moody's annonçait vendredi qu'elle maintenait la note de Buenos Aires mais abaissait sa perspective à «négative».

Les fonds ayant gagné une longue bataille judiciaire avec Buenos Aires, détenteurs de moins d'1% de la dette argentine, font chanceler un processus de désendettement rassemblant 93% des créanciers privés de l'Argentine. Lors des restructurations de la dette de 2005 et 2010, ces derniers ont consenti un rabais de 70% pour permettre à l'Argentine de se relancer, alors que les fonds «vautours», ou «holdouts», refusaient le marché et exigeaient 100% de leur dû.

Dans un pays déjà fragilisé par la récession, une inflation de 30% et un déficit budgétaire et énergétique, l'inquiétude monte, même si la situation est loin d'être aussi grave que lors de la crise de 2001. Buenos Aires continue de payer ses autres créanciers, alors qu'en 2001, l'Argentine s'était déclarée en défaut pour 82 milliards de dollars.

L'Argentine affirme vouloir honorer ses dettes mais martèle que si elle applique la décision judiciaire américaine de verser 1,3 milliard de dollars aux fonds spéculatifs, elle viole la clause RUFO figurant dans les contrats de la dette restructurée spécifiant que tous les créanciers doivent bénéficier des mêmes conditions de remboursement.

La décision de justice ordonnant à l'Argentine de payer 100% de la valeur des bons aux fonds NML et Aurelius (1% des créances) contrevient à cette clause. Les créanciers qui eux détiennent 93% de la dette ont accepté de ne se voir rembourse que 30% de la mise initiale.

Dans une lettre adressée au Congrès, une centaine d'économistes américains ont estimé que «le jugement bloquant tout paiement de l'Argentine à 93% de ses créanciers pourrait causer des dégâts économiques inutiles au système financier international et aux intérêts des États-Unis et de l'Argentine».

Selon les analystes, une des premières conséquences du défaut de paiement est de maintenir l'Argentine à l'écart des marchés internationaux des capitaux, alors que Buenos Aires espérait y lever à nouveau des fonds pour financer notamment de coûteux investissements dans l'exploitation de nouveaux gisements pétroliers et gaziers.

Depuis sa faillite en 2001, l'Argentine a progressivement remboursé sa dette grâce notamment aux prélèvements fiscaux sur les exportations agricoles, notamment le soja, passant en 10 ans d'un endettement de 160% du PIB à 40% actuellement.