L'économie continue à se redresser aux États-Unis. Mais, cinq ans après la fin de la récession causée par la crise financière, la première puissance mondiale génère surtout des «McJobs» peu payants. Et la classe moyenne attend toujours les bienfaits de cette reprise.

Au premier coup d'oeil, les données brossent un portrait encourageant, voire enviable vu depuis le Canada.

Redressement du marché immobilier, hausse de la consommation et du crédit et, surtout, forte création d'emplois (288 000 en juin) confirment la solide reprise économique aux États-Unis.

Cependant, le dernier rapport sur le coût de la vie aux États-Unis a exposé une face cachée de cette belle image: le salaire «réel» des Américains - donc en soustrayant l'inflation (+ 2,1% en juin) - n'augmente toujours pas. En fait, durant l'année se terminant fin mai, la rémunération réelle des travailleurs a baissé de 0,1%, en moyenne.

Malheureusement, c'est une histoire qui s'éternise. Cinq ans presque jour pour jour après la fin officielle de la récession causée par la crise financière, rien n'y fait: les travailleurs de la première économie mondiale n'ont toujours pas vu leur niveau de vie augmenter.

Cette réalité est d'autant plus frustrante qu'elle détonne avec l'humeur actuelle sur Wall Street, où les indices boursiers enfilent les records dans la foulée des bonnes nouvelles macro-économiques.

À titre d'exemple, en juin, l'économie américaine avait finalement récupéré les 8,7 millions d'emplois perdus pendant la récession. Au total, les États-Unis ont créé 8,8 millions de postes par rapport au creux de l'emploi de février 2010.

Or, le problème du marché du travail aux États-Unis en est un de «qualité» et non de «quantité», explique la banque Citigroup dans une nouvelle étude.

Ainsi, cinq ans après la récession, il est toujours difficile de décrocher un emploi à temps plein au sud de notre frontière. Sur les 288 000 emplois créés le mois dernier, 275 000 sont des emplois à temps partiel. Donc des jobs précaires.

De plus, ce sont les secteurs les moins «payants», tels que la restauration, le commerce de détail et les manufacturiers de bas de gamme qui embauchent le plus.

Dans une étude citée par des médias américains, le NELP (National Employment Law Project), un groupe de défense des travailleurs, calcule que 44% des emplois créés depuis cinq ans aux États-Unis l'ont été dans les industries offrant de bas salaires, alors que ces mêmes secteurs ne sont responsables que de 22% des emplois perdus durant la récession 2009.

À l'inverse, les employeurs offrant généralement la plus grosse paye - haute technologie, finance, etc. - n'ont pas retrouvé leur rythme d'antan, n'ayant créé que 30% des nouveaux emplois depuis 2009 alors qu'on leur impute 41% de ceux perdus durant la récession.

Salaire minimum

Aussi, dans cette reprise «low cost», la Réserve fédérale (Fed) se dit ouvertement inquiète de la stagnation des revenus des Américains à l'heure où Barack Obama tente de relever le salaire minimum.

Le président américain plaide depuis des mois pour une hausse de 40%, de 7,25$US à 10$US de l'heure, du minimum fédéral (le salaire horaire moyen est de 24,40$US). Il serait surprenant que les républicains soutiennent cette proposition, mais en attendant, certains États ou villes, souvent dirigés par des démocrates, ont déjà ajusté leur grille de salaires.

C'est le cas de Seattle, dans l'État de Washington, qui a relancé la polémique sur les inégalités sociales, le mois dernier, en décidant d'augmenter de 60% le salaire minimum sur son territoire d'ici à 2021 (à 15$US de l'heure). Seattle aura dès lors le salaire minimum le plus élevé des États-Unis.

Selon la centrale syndicale AFL-CIO, «cette décision montre [...] au monde des affaires que les choses changent, que les travailleurs sont lassés de voir les 1% les plus aisés s'enrichir pendant que le reste d'entre nous s'appauvrit». Les villes de San Francisco et de Washington envisagent, elles aussi, d'augmenter leur salaire minimum.

Pour les experts, la stagnation des salaires aura de graves répercussions en affaiblissant la reprise aux États-Unis. Elle embête aussi la Fed, qui ne peut mettre fin rapidement à son soutien exceptionnel au système financier tant que les travailleurs ne seront pas mieux rémunérés.

«La dernière pièce du casse-tête [pour la Fed], c'est une augmentation généralisée des salaires», affirme Lewis Alexander, de la banque Nomura.