Après des années d'envolée des prix, le marché immobilier chinois s'est nettement refroidi ces derniers mois, mais au-delà d'un ajustement bienvenu, Pékin devrait s'efforcer de ménager ce secteur capital pour la croissance économique du pays, estiment des experts.

Sur la dernière décennie, l'expansion de la classe moyenne chinoise -pour qui l'achat d'un appartement est quasiment une obligation sociale-, a dopé le marché, sur fond d'urbanisation effrénée. Et, faute d'alternatives rémunératrices, beaucoup ont choisi d'investir dans l'immobilier.

Au point que les prix des logements neufs dans les métropoles de Pékin et Shanghai ont plus que quadruplé depuis 2003, et plus que doublé pour la Chine dans son ensemble, selon des chiffres avancés par Standard Bank.

Ces années dorées semblent révolues: les prix moyens dans les 100 principales villes chinoises ont enregistré en mai leur première baisse sur un mois depuis près de deux ans (-0,32%, à quelque 1920$ CAN le mètre carré), selon le cabinet China Index Academy.

Sur les 10 premières métropoles, seuls Pékin et Tianjin ont enregistré des hausses.

En glissement annuel, les prix ont progressé le mois dernier de 7,84% par rapport à mai 2013, brutal ralentissement après +9,06% en avril. Au cours des douze derniers mois, les prix ont fondu dans un tiers des villes.

«Titanic»

«Le marché immobilier chinois, c'est le Titanic s'apprêtant à percuter l'iceberg en face de lui», a averti le milliardaire Pan Shiyi, président de SOHO China, mastodonte de l'immobilier commercial, selon des propos rapportés par le China Business News.

L'agence de notation Moody's, elle, a abaissé à «négative» la perspective du marché immobilier chinois, pointant les longues listes d'invendus, une conjoncture morose, mais surtout «un ralentissement important des ventes».

«C'est avant tout une conséquence du durcissement du crédit», car «la plupart des ménages chinois ont encore besoin d'emprunter» pour acheter, explique Yao Wei, analyste de Société Générale.

Les coups de vis de la banque centrale (PBOC) en 2013, destinés à freiner l'envolée de l'endettement privé et public, ont incité les banques à resserrer leurs activités de prêts --au détriment des ménages, mais aussi des promoteurs.

Ces derniers rencontrant ainsi des difficultés accrues à se financer, au moins six groupes de taille moyenne ont connu des défauts de paiements depuis février.

Cette pression --ventes médiocres, manque de liquidités-- «a poussé certains groupes à réduire leurs prix», mais ce signal «a placé les acheteurs potentiels dans une position attentiste», observe Jian Chang, expert de Barclays.

L'engrenage aggrave la surabondance de logements disponibles, et surtout très inégalement répartis géographiquement --ce dont témoignent depuis plusieurs années des «villes fantômes», zones résidentielles où des milliers d'appartements ne trouvent pas preneurs.

Pékin avait cherché à enrayer ces excès et la flambée des prix --objet de mécontentement populaire-- en durcissant les restrictions à l'achat dans les grandes métropoles.

Mais les gouvernements locaux avaient peu d'intérêt à réguler les ventes de terrains, source de près des deux tiers de leurs revenus.

Ralentissement «cyclique»

Pour plusieurs experts, le gouvernement serait cependant en mesure, en assouplissant ces restrictions à l'achat et le crédit, d'empêcher un effondrement du secteur immobilier, dont l'onde de choc serait dévastatrice pour l'économie et le système financier.

Selon Barclays et Société Générale, l'immobilier représente jusqu'à 20% du PIB chinois, si on y inclut les activités industrielles en amont (matériaux de construction, etc.) et en aval (électroménager).

Par ailleurs, «les crédits immobiliers et prêts aux promoteurs représentent respectivement 14% et 6,5% de l'ensemble des prêts bancaires», pour plus de 15 400 milliards de yuans au total (2700 milliards CAN), rappelle Mme Yao.

Pour Jian Chang, le gouvernement, soucieux de rééquilibrer l'économie, «devrait tolérer une correction accrue du marché immobilier, mais probablement pas davantage qu'un recul de 10% des prix nationaux» --ce qui pourrait cependant précipiter la croissance économique sous la barre des 7%.

Montrant sa vigilance, la PBOC a demandé aux banques d'accorder des prêts immobiliers en priorité aux primo-acquérants d'appartements.

Les experts de la banque ANZ se veulent eux rassurants, évoquant «un ralentissement cyclique»: «Le marché a encore de larges marges de croissance pour la prochaine décennie», durant laquelle «200 millions de ruraux» pourraient rejoindre les villes, font-ils valoir.