Son pari est risqué. Le nouveau et tout jeune premier ministre de l'Italie dépensera des dizaines de milliards pour soutenir les consommateurs et les PME afin de relancer l'économie. Et ce, malgré un endettement public parmi les plus élevés d'Europe.

Officiellement, depuis samedi, les Italiens sont un peu plus riches.

Grâce à un allégement fiscal en vigueur depuis le 31 mai, 10 millions de salariés en Italie - gagnant moins de 1850 euros par mois (environ 2750$) - ont en effet 80 euros (120$) de plus dans leurs poches.

Baptisée «la bataille des mythiques 80 euros», cette baisse d'impôt était un engagement central du nouveau gouvernement de Matteo Renzi, formé en février. Une promesse visant à susciter la confiance et la consommation.

La mesure coûtera au gouvernement 6,7 milliards d'euros cette année (10 milliards de dollars canadiens) et ce, avant même d'étendre cet allègement aux retraités et aux travailleurs autonomes comme prévu. Ce coup de pouce s'inscrit dans un plan plus large - de 90 milliards d'euros - qui vise en plus à soutenir les PME et que le premier ministre a annoncé en mars pour redémarrer l'économie italienne, la troisième d'Europe.

Or, cette mesure populaire, appuyée par les syndicats, risque de se heurter aux dures réalités des finances publiques de la péninsule.

Selon un nouveau rapport de l'institut statistique ISTAT, l'endettement public italien est à un sommet depuis 1990. Le poids de la dette de 2000 milliards d'euros correspond à 133% de l'économie - le ratio plus élevé d'Europe après la Grèce (à plus de 170%).

La menace est telle que l'ISTAT a sonné l'alarme mercredi en affirmant que les risques «élevés» de l'endettement nécessitent une intervention «à court et long terme».

«Le pays est obligé de consacrer 5% de son PIB au seul remboursement des intérêts de la dette, contre une moyenne de 3% dans la zone euro», renchérit la banque BNP Paribas.

Encore la récession?

La mise en garde de l'ISTAT est survenue au lendemain d'un bulletin de santé inquiétant de l'économie italienne: celle-ci s'est contractée de 0,5% (en rythme annuel) au premier trimestre, après une faible hausse de 0,1% au dernier trimestre 2013 et un recul de 1,9% pour l'ensemble de l'année. Autrement dit, l'Italie risque de retomber en récession, après deux années dans le rouge.

Le diagnostic de Matteo Renzi, qui n'a que 39 ans, est le suivant: l'économie a grandement souffert des mesures d'austérité imposées par ses prédécesseurs. Pour sauver le patient, il faut requinquer les consommateurs. Autrement dit, l'endettement n'est pas le malaise principal du pays, c'est le manque de croissance.

À cet égard, les experts sont d'avis que la récession italienne a surtout été causée par la chute de la consommation. Après -4% en 2012, les dépenses des ménages ont reculé de 2,6% l'an dernier. «La consommation est trop faible [...] et les exportations ne peuvent compenser», explique la Banque Barclays dans une note financière.

D'ailleurs, le PIB italien vient à peine de retrouver son niveau de 2000. C'est donc 14 ans perdus! On comprend mieux la volonté du gouvernement de pousser la croissance naissante.

Le rappel à l'ordre de Moody's

L'arrivée de Matteo Renzi a été saluée par les marchés. Les taux d'intérêt des obligations nationales ont chuté à un creux historique et la Bourse de Milan a gagné 14,3% cette année, contre 4,4% pour l'indice européen Stoxx 50.

La firme Moody's a aussi relevé - de négative à stable - la perspective de la dette italienne devant les signes de reprise. Mais les progrès sont lents et les agences de crédit sont aux aguets.

Car le défi est de stimuler la croissance tout en maintenant un niveau acceptable d'endettement. Un exercice périlleux. Pour y arriver, Rome procédera à un dégraissage draconien de l'administration publique.

Dans un geste hautement symbolique, Matteo Renzi a déjà réduit le parc automobile de l'État de 1100 véhicules à... 80. La Chambre des députés et le Sénat devront aussi se serrer la ceinture. Les salaires de hauts fonctionnaires seront plafonnés ou même réduits. Et les régions et les communes ont été priées de réduire leurs dépenses.

Au final, le gouvernement table sur 34 milliards d'euros d'économies par an quand les réformes donneront leur pleine mesure. Un objectif très ambitieux. Surtout que les détails de ces compressions restent flous, déplorent les critiques. Et on ne sait pas comment Rome va rembourser une dette pressante, soit les 68 milliards d'euros d'arriérés de factures que l'État doit aux entreprises.

Bref, Matteo Renzi devra accomplir un petit miracle qui, le cas échéant, lui vaudrait bien la bénédiction du Vatican. Mais les sceptiques restent nombreux, car la dette italienne s'alourdit sans cesse, même si Rome a promis d'arrêter l'hémorragie cette année. «Le [ratio dette-PIB] n'atteindra pas son sommet cette année ou même en 2015. Ce n'est pas fini», prévient la Bank of America Merril Lynch.

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DROGUE ET PROSTITUTION POUR RÉDUIRE LE DÉFICIT?

Sujet de moquerie en Europe, l'économie souterraine en Italie aura bientôt ses lettres de noblesse. Les revenus du trafic de drogue et de la prostitution seront intégrés l'an prochain dans le calcul officiel du produit intérieur brut (PIB), selon l'agence ISTAT.

La contrebande de tabac et d'alcool fera aussi partie du calcul, même si la procédure sera «très difficile pour la raison évidente que ces activités illégales ne sont pas déclarées», note l'ISTAT.

La Banque d'Italie a déjà évalué la valeur de l'économie criminelle à 11% du PIB.

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ROME PRIVATISERA UNE PARTIE DE LA POSTE

Le gouvernement italien vient d'adopter un décret fixant les modalités de vente de 40% des Postes nationales dans le cadre d'un programme de privatisation visant à céder des participations de l'État pour 12 milliards d'euros.

La vente de «Poste Italiane» devrait rapporter environ 4 milliards d'euros.

Le gouvernement précédent avait dévoilé, en novembre 2013, un plan de privatisation de huit sociétés, dont le géant pétrolier Eni. Outre Poste Italiane, on vendra aussi Fincantieri (chantiers navals), Grandi stazioni (réseau ferroviaire), StMicrolectronics (semi-conducteurs).

L'Italie compte sur ces privatisations pour éponger une partie de sa dette publique faramineuse.

- Avec AFP