L'Ukraine a rejeté samedi la hausse de 80% des prix du gaz imposés par son voisin russe et menacé de traîner Moscou devant une cour d'arbitrage, relançant le spectre d'une «guerre du gaz» qui affecterait toute l'Europe.

«La Russie a échoué à s'emparer l'Ukraine par l'agression armée. Elle lance maintenant le plan pour s'emparer de l'Ukraine par l'agression gazière et économique», a tonné le premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, lors d'un conseil des ministres.

«La pression politique est inacceptable. Et nous n'acceptons pas le prix de 500 dollars», a-t-il poursuivi.

Moscou a annulé cette semaine coup sur coup deux ristournes accordées à l'Ukraine sur ses livraisons gazières, dont Kiev est très dépendant. En 72 heures le prix en est ainsi passé de 268 à 485 dollars les 1000 mètres cubes, un des plus élevés en Europe.

Les deux voisins ex-soviétiques sont en pleine crise depuis le renversement du régime pro-russe de Viktor Ianoukovitch par des manifestants pro-européens fin février.

La Russie s'est emparée en mars de la péninsule ukrainienne de Crimée, après un référendum que Kiev et les Occidentaux ne reconnaissent pas, parlant d'«annexion», et a massé des dizaines de milliers de soldats aux frontières de l'Ukraine, la pire crise Est-Ouest depuis la fin de la guerre froide.

M. Iatseniouk a agité le spectre d'une nouvelle «guerre du gaz» qui pourrait mettre en danger les approvisionnements européens, en disant s'attendre «à ce que la Russie restreigne ou stoppe les livraisons de gaz» à l'Ukraine.

Le chef du gouvernement ukrainien sonne ainsi l'alarme au moment où les ministres des Affaires étrangères de l'UE achevaient à Athènes une réunion informelle consacrée en grande partie à la crise ukrainienne.

À deux reprises, en 2005/6 et 2009/10, Moscou a déjà coupé le robinet de l'Ukraine lors de conflits entre les deux ex-républiques soviétiques, et par la même occasion le flux d'exportation vers l'Europe, encore très dépendante de la Russie en la matière.

Gazprom, le géant gazier russe souvent accusé d'être un bras armé du Kremlin, fournit ainsi environ le tiers des approvisionnements de l'Union européenne, qui a, une fois de plus à l'occasion de l'actuelle crise, affiché son intention de réduire cette dépendance. Et près de 40% de ce gaz transite via l'Ukraine.

«Arme politique»

À l'issue de la réunion d'Athènes, la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton a de nouveau appelé Moscou à «s'engager dans la désescalade» en Ukraine et a réaffirmé que l'UE était prête à imposer de «nouvelles sanctions», notamment d'ordre économique, si la crise s'aggravait.

Plusieurs ministres présents ont mis en garde Moscou sur le risque d'un effondrement économique ou politique de l'Ukraine, alors que la Banque mondiale vient de réviser ses prévisions sur l'Ukraine, prévoyant une récession de 3% pour 2014 à la suite notamment à l'augmentation-sanction du prix du gaz russe.

L'agence Moody's a de nouveau abaissé vendredi soir la note de solvabilité de Kiev, ramenée dans la catégorie spéculative.

Reconnaissant le «rôle important» joué par Moscou, le chef de la diplomatie allemande, Frank-Walter Steinmeier, a souligné que «c'est pour cela que nous devons dialoguer avec la Russie même si nous avons des divergences».

Vendredi, le vice-président américain Joe Biden a dénoncé l'utilisation de l'énergie comme «arme politique» dans une conversation téléphonique avec M. Iatseniouk, auquel il a promis le soutien américain.

Le ministre ukrainien de l'Énergie, Iouri Prodan, a affirmé samedi vouloir continuer à chercher un accord avec Gazprom. À défaut, Naftogaz, la société publique ukrainienne, saisira une cour d'arbitrage, comme prévu par les contrats.

Le président de Gazprom, Alexeï Miller, a, lui, accentué samedi la pression en affirmant que l'Ukraine devrait rembourser 11,4 milliards de dollars correspondant aux ristournes de ces quatre dernières années qui viennent d'être annulées.

M. Iatseniouk a enfin de nouveau évoqué la possibilité de négociations, notamment mardi à Bruxelles, avec des partenaires européens - Slovaquie, Pologne, Hongrie - pour qu'ils rétrocèdent à l'Ukraine une partie du gaz qu'ils reçoivent à des prix inférieurs à ceux désormais facturés à Kiev.

Mais la Russie risque de ne pas apprécier un tel arrangement. Le patron de Gazprom a d'ailleurs averti vendredi à la télé russe les pays tentés de faire «très très attention à la légalité» d'une telle décision.