L'aggravation de la crise en Ukraine menace la reprise économique espérée après plus d'un an de récession et fait craindre un effondrement incontrôlé de sa monnaie.

«Il y a certaines indications selon lesquelles les affaires, les investissements ralentissent, à cause de l'incertitude quant à la suite des événements», constate Dmytro Sologub, économiste chez Raiffeisen Bank Aval.

«Les troubles politiques pourraient donc avoir un effet sur la croissance», ajoute-t-il.

L'Ukraine sort d'une année 2013 catastrophique sur le plan économique et financier et se trouvait selon les analystes au bord de la faillite quand elle a accepté en décembre un plan de sauvetage de 15 milliards de dollars de la Russie.

Elle a au passage renoncé à un accord de libre-échange avec l'Union européenne qu'elle préparait depuis des années, déclenchant la colère d'une partie de la population qui s'est sentie trahie.

Après cinq trimestres de fort repli du produit intérieur brut, le gouvernement a assuré avoir constaté une amélioration en fin d'année permettant d'atteindre une stabilité sur l'année.

«La tendance est devenue positive ces derniers mois pour l'économie. Notre devoir est de la renforcer et c'est pourquoi toute désorganisation ou tout appel au chaos empire la vie de nos concitoyens», a estimé le premier ministre Mykola Azarov le 17 janvier.

De fait, le mouvement de contestation paralyse le coeur de Kiev, où de nombreux commerces sont fermés et certains ministères bloqués. Et le mouvement touche désormais la majorité des administrations régionales.

Le ministère de l'Agriculture, occupé par les manifestants, a prévenu de «conséquences destructrices pour le secteur», l'un des rares à actuellement soutenir l'économie ukrainienne grâce à une production de céréales record.

Les experts tempèrent nettement les effets de ces blocages sur l'économie réelle. En revanche, les milieux d'affaires deviennent de plus en plus nerveux face à une crise aux implications économiques considérables et à la difficulté d'en prédire l'issue, entre espoirs d'accord politique et craintes d'un bain de sang.

«Quand mes clients m'appellent de Londres pour me demander conseil, j'ai du mal à leur répondre, à entrevoir une issue», reconnaît un banquier d'affaires européen.

«Au point où on en est, ce n'est plus de l'économie, mais de la politique», renchérit un responsable d'une banque américaine, lui aussi sous couvert d'anonymat.

La monnaie chute

À court terme, la crise a déjà eu un effet très net sur la monnaie nationale.

Le dollar est passé en une dizaine de jours de 8,30 à 8,50 hryvnias, soit un plongeon de plus de 3% pour la devise ukrainienne.

En soi, une dépréciation de la monnaie n'est pas forcément une mauvaise nouvelle, renforçant l'attractivité à l'exportation de la production.

La hryvnia n'est en outre pas plus attaquée que les autres monnaies émergentes, actuellement dans la tourmente.

Reste que le mouvement a surpris, car la banque centrale avait soutenu toute l'année cette devise par des interventions massives sur le marché.

L'institution semble avoir décidé de lâcher prise et comme cette décision «intervient sur fond de violentes manifestations et de maigres réserves de changes, la principale menace est une dévaluation hors de contrôle», ont estimé les experts de Capital Economics.

Outre le tarissement des investissements étrangers, l'attitude des ménages, plus imprévisibles, inquiète. Très sensibles au mouvement de leur monnaie, ils ont tendance à convertir leurs économies en dollars ou en euros dans les situations de crise.

Actuellement, la demande des particuliers pour les devises étrangères est environ le double de ce qu'elle représente habituellement, et la chute actuelle pourrait accentuer le mouvement, créant une spirale infernale.

L'autre inconnue reste l'attitude de la Russie en cas de concessions importantes du pouvoir. Elle ne lui a versé fin décembre que trois milliards de dollars sur les 15 promis et le gouvernement ukrainien a entamé lundi l'émission de deux milliards de dollars de dettes que Moscou doit prendre à son compte.

La Russie est accusée par les pays de l'UE d'avoir pesé de tout son poids pour attirer Kiev dans son giron, limitant ses exportations afin d'étrangler les entreprises ukrainiennes.