Le gouvernement argentin a annoncé vendredi la levée de la restriction à l'achat de dollars, une mesure extrêmement impopulaire qui avait mécontenté les Argentins, habitués depuis 40 ans à épargner en devises.

Après 48 heures d'incertitudes et de critiques, le chef du gouvernement Jorge Capitanich a surpris les milieux économiques en éliminant le contrôle des changes et dissipé les doutes sur la nature de la dévaluation en cours, révélant qu'il s'agissait d'une stratégie du gouvernement.

«Nous avons décidé d'autoriser l'achat de dollars pour les personnes physiques en fonction de leurs revenus déclarés (...) Dans le cadre de la politique monétaire de flottement administrée, le gouvernement considère que le prix du dollar a atteint un niveau de convergence acceptable, conforme aux objectifs de la politique économique», a déclaré le chef du gouvernement lors d'une conférence de presse en compagnie du ministre de l'Économie.

Le contrôle des changes instauré en 2011 après sa réélection par la présidente de centre-gauche Cristina Kirchner avait provoqué l'émergence d'un taux de change parallèle. Au marché noir, le «dollar blue (bleu)» cotait jeudi à 13 pesos pour un dollar, alors que le taux officiel était de 8 pesos.

En plein été austral, alors que les Argentins les plus aisés partent en vacances à l'étranger, l'autorisation de l'achat de dollars va soulager les voyageurs.

Jusqu'ici, chaque départ à l'étranger était précédé d'une course aux devises. L'achat de billets verts au taux officiel était soumis au bon vouloir de l'administration fiscale, qui n'autorisait parfois que quelques centaines de dollars pour un séjour de trois semaines en Europe.

Pour compléter le budget vacances, les aspirants touristes devaient alors acheter des dollars au marché noir et payer une surtaxe de 35 % sur chaque achat effectué par carte bancaire à l'étranger.

Le gouvernement a maintenu cette autre mesure impopulaire, mais en l'abaissant à 20 %.

La levée du contrôle de l'accès au dollar va grandement satisfaire les Argentins qui ont perdu depuis bien longtemps confiance en leur monnaie. Depuis les années 1970, on épargne en dollars, une garantie dans un pays où alternent inflation et hyper-inflation.

Les Argentins restent traumatisés par la crise économique de 2001, qui a emporté les économies de milliers de petits épargnants, quand le système financier s'est effondré.

Les économistes avertissent toutefois que cette dévaluation va alimenter une inflation déjà élevée.

Jusqu'ici Mme Kirchner se refusait de dévaluer, estimant que les plus démunis en seraient les victimes, avant de se ranger à l'avis des marchés qui le jugeaient surévalué.

Le nouveau taux de 8 pesos pour un dollar est un nouveau choc dans la 3e économie d'Amérique latine, où une parité peso-dollar prévalait dans les années 1990, au prix d'un endettement incontrôlé qui avait conduit à la banqueroute.

L'Argentine se trouve aujourd'hui dans une situation délicate quant à ses réserves en devises étrangères, malgré une balance commerciale positive de neuf milliards de dollars en 2013. Le gouvernement argentin a multiplié les mesures pour freiner l'érosion de ses réserves (de 52 à 29 milliards en trois ans), jusqu'ici en vain.

Avec la dévaluation, le gouvernement «a voulu provoquer un choc sur les marchés pour générer un peu plus de confiance», estime l'ancien président de la Banque centrale Aldo Pignanelli.

La dévaluation est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle pour Gabriel Torres, analyste chez Moody's.

«C'est une bonne nouvelle, car cela montre que le gouvernement réagit, cela montre que les précédentes politiques n'ont pas fonctionné, cela devrait aider à préserver les réserves, mauvaise car cela va faire augmenter l'inflation».

Après 10 ans de politiques en rupture avec les institutions financières internationales, jugeant le FMI en partie responsable de la crise économique de 2001, l'Argentine, caractérisée par un faible endettement public, veut regagner en crédibilité aux yeux des marchés.

Buenos Aires a récemment trouvé un accord avec la compagnie pétrolière Repsol sur une indemnisation après la nationalisation de sa filiale YPF en 2012.

En début de semaine, Buenos Aires a envoyé son ministre de l'Économie Axel Kicillof pour présenter une proposition de remboursement de sa dette de 10 milliards au Club de Paris.

Au FMI, Buenos Aires a promis des statistiques fiables, alors que le pays sud-américain minimise depuis des années l'inflation. Pour 2013, le gouvernement reconnaît une inflation de 11 %, alors que les instituts d'études économiques la situent à 28 %. Pour 2014, les instituts d'études privés pronostiquent une inflation supérieure à 30 %.

Premier exportateur mondial de farine et d'huile de soja, l'agriculture reste le pilier de l'économie argentine qui a permis de sortir de la crise de 2001, mais le robinet de devises qu'elle constitue a réduit de débit. «Ce n'est pas que la fête est terminée, mais l'effet locomotive n'est plus aussi fort», analyse l'économiste espagnol Carlos Malamud.

Vendredi, le peso était relativement stable sur le marché des changes.