La politique économique de la France a subi un désaveu brutal vendredi, Standard & Poor's ayant abaissé la note du pays pour la deuxième fois en moins de deux ans, au grand dam du gouvernement, déjà confronté à la grogne sociale.

S&P a justifié sa décision d'abaisser d'un cran à «AA» la note de la France, fixée depuis début 2012 à «AA+», par le fait que le pays avait perdu de sa marge de manoeuvre financière et n'était pas en mesure de se réformer davantage en raison du maintien d'un chômage élevé.

Sans broncher, le président François Hollande, qui réunissait ce vendredi à l'Élysée les grandes institutions financières internationales, a affirmé que la France maintiendrait son «cap» en matière économique.

«Cette politique qui repose sur des réformes qui ont déjà été engagées, qui se poursuivront, est la seule qui permette d'assurer la crédibilité» financière de la France, a-t-il assuré, mettant également en avant «les faibles niveaux des taux d'intérêt (de la dette française) sur les marchés».

Le premier ministre Jean-Marc Ayrault, en déplacement à Marseille, a reproché à l'agence de n'avoir «pas pris en compte toutes les réformes» menées depuis l'arrivée de la majorité au pouvoir l'an dernier, dont celle des retraites, en cours d'adoption.

Et le ministre de l'Économie Pierre Moscovici a pourfendu les «jugements critiques et inexacts» de l'agence de notation.

Plus offensif encore, son collègue au Redressement productif, Arnaud Montebourg, a accusé les agences de notation d'avoir perdu toute crédibilité durant la crise financière.

Même le gouverneur de la Banque de France Christian Noyer a rejoint ce concert de critiques, jugeant depuis Londres que l'analyse de S&P était «incomplète», ce dont l'agence s'est défendue.

Selon l'analyse de l'agence de notation, «la marge de manoeuvre budgétaire de la France s'est réduite, alors (qu'elle) la considér(ait) auparavant comme élevée au regard des pays comparables».

«Nous ne percevons pas, pour la période à venir, de plan d'ensemble articulé permettant de libérer le potentiel de croissance, préalable indispensable à la baisse du chômage», a expliqué à l'AFP le chef économiste pour l'Europe de l'agence, Jean-Michel Six.

«Niveau du chômage»

S&P juge que «le niveau actuel du chômage amoindrit le soutien populaire en faveur de nouvelles réformes structurelles et sectorielles et affecte les perspectives de croissance à plus long terme».

C'est un nouveau coup dur pour le gouvernement, qui a fait de la maîtrise des finances publiques sa ligne conductrice depuis son arrivée au pouvoir l'an dernier, dans l'espoir notamment de maintenir au plus bas les taux d'intérêt des emprunts d'Etat, et donc le coût de la dette publique.

«François Hollande doit prendre ses responsabilités. Il ne peut rester inactif face à la grave accumulation de signaux d'alerte sur le front économique», a réagi le président de l'UMP, Jean-François Copé, tandis que l'ex-premier ministre François Fillon appelait l'exécutif à «prendre acte de l'échec de la politique économique actuelle» et à «changer de politique radicalement».

La présidente du FN, Marine Le Pen, a vu quant à elle dans cette décision une sanction de la «politique d'eurostérité» à laquelle Paris soumet selon elle depuis des années, «sous pression de la grande finance».

Pas d'effet majeur sur les marchés financiers

Les investisseurs «peuvent et vont continuer à faire confiance à la France», a assuré au contraire le ministre de l'Économie, promettant en outre que la croissance française, quasi-nulle cette année (0,1 % selon les prévisions de Bercy), atteindrait «au moins» 0,9 à 1 % l'an prochain.

Pas d'effet majeur sur les marchés financiers

Malgré tout, cette décision surprise n'a pas eu d'effet majeur sur les marchés financiers. La Bourse de Paris s'affichait en repli limité à la mi-journée, le CAC 40 perdant 0,49 % vers 16 h 45, tandis que le taux des obligations d'Etat à dix ans de la France se tendait légèrement, à 2,225 %.

La nouvelle note attribuée à la France est la troisième meilleure possible dans la classification de S&P. Sa perspective est «stable», ce qui implique que l'agence n'envisage pas de la modifier de nouveau à court ou moyen terme.

S&P a ainsi récidivé, après avoir été la première grande agence internationale à priver la France de la note suprême, «AAA», en janvier 2012, la dégradant alors à «AA+». Elle avait été suivie par ses concurrentes, Moody's et Fitch Ratings. Et elle est de nouveau la première à abaisser d'un cran supplémentaire sa note.

La note accordée à la dette court terme du pays reste quant à elle fixée à «A-1+», soit la meilleure possible.

Seuls 11 pays conservent leur triple A chez les agences de notation

Seuls 11 pays dans le monde, dont 8 en Europe, conservent le graal du triple A, la note optimale attribuée par les trois grandes agences notation : Standard & Poor's, Fitch et Moody's.

Parmi ces 11 élus, sept bénéficient d'une perspective «stable» sur la situation de leur dette souveraine. La Suède, la Norvège, le Danemark, la Suisse, l'Australie, le Canada et Singapour composent ainsi le «sept d'or» des trois agences.

Les quatre autres, l'Allemagne, les Pays-Bas, Le Luxembourg et la Finlande, voient leur triple A menacé d'une perspective «négative», attribuée par au moins une des trois agences.

Ces trois dernières années, quatre pays ont quitté ce club très fermé des Etats les mieux notés :

- la France (AA chez S&P depuis vendredi, Aa1 négative chez Moody's depuis novembre 2012 et AA+ stable chez Fitch depuis juillet 2013).

- l'Autriche (AA+ chez S&P depuis janvier 2013, Aaa négative chez Moody's, AAA stable chez Fitch).

- les Etats-Unis (AA+ stable chez S&P depuis l'été 2011, AAA chez Moody's et Fitch).

- le Royaume-Uni (AAA négative chez S&P, Aa1 stable chez Moody's depuis février 2013, AA+ négative chez Fitch depuis avril 2013).

Ci-dessous, la situation dans le reste du G20 et de l'Union européenne. Les notes indiquées sont, dans l'ordre, attribuées par S&P, Moody's et Fitch.

- Afrique du Sud: A- négative, Baa1 négative, BBB stable.

- Arabie Saoudite: AA- positive, Aa3 stable, AA- positive.

- Belgique: AA négative, Aa3 négative, AA stable.

- Brésil: BBB négative, Baa2 stable, BBB stable.

- Chine: AA- stable, Aa3 stable, A+ stable.

- Corée du Sud: A+ stable, Aa3 stable, AA- stable.

- Espagne: BBB- négative, Baa3 négative, BBB stable.

- Inde: BBB- négative, Baa3 stable, BBB stable.

- Italie: BBB négative, Baa2 négative, BBB+ négative.

- Japon: AA- négative, Aa3 stable, A+ négative.

- Mexique: BBB positive, Baa1 stable, BBB+ stable.

- Russie: BBB stable, Baa1 stable, BBB stable.

En dessous de BBB- ou de Baa3, les pays sont considérés comme des emprunteurs moins fiables, c'est-à-dire que la dette qu'ils émettent est jugée comme un investissement spéculatif par au moins une des agences de notation. C'est le cas en zone euro du Portugal, ainsi que de l'Irlande chez Moody's (elle est par contre notée BBB+ chez les deux autres).