En proie à de violents mouvements sociaux, le Brésil inquiète aussi de plus en plus de gens sur le plan économique. Or, les choses pourraient s'aggraver avec la lutte acharnée que mène la banque centrale du pays contre un vieil ennemi: une inflation galopante.

Quelque 65 000 manifestants dans les rues de São Paulo. Plus de 1 million dans 80 villes en une seule journée...

Le Brésil a été secoué par plusieurs manifestations cet été. Après une brève accalmie récemment, l'agitation sociale est de retour et a pris une tournure violente, la semaine dernière, lors d'une confrontation entre des enseignants en grève et des anarchistes, faisant de nombreux blessés.

Ces tensions - une situation que le pays n'avait pas connue depuis 20 ans - témoignent de la frustration grandissante dans la première économie d'Amérique latine.

Au départ cet été, les revendications populaires s'élevaient contre une hausse des tarifs dans les transports. Elles se sont transformées en vive critique du gouvernement, en particulier des dépenses pour la Coupe du monde de soccer et les Jeux olympiques, prévus en 2014 et 2016 respectivement. Des coûts jugés exorbitants par les Brésiliens qui demandent plus d'argent pour l'éducation, la santé et les infrastructures.

Or, le malaise social - qui contraste avec l'essor économique du pays pendant 10 ans - risque de s'aggraver à cause du combat que mènent les autorités contre un vieil ennemi des Brésiliens: l'inflation.

Devant la flambée des prix, qui fait craindre un dérapage comme dans les années 80, la banque centrale du Brésil a encore relevé, mercredi dernier, son principal taux d'intérêt, le Selic, qui grimpe de 50 centièmes, à 9,50%. Un cinquième tour de vis en six mois qui rapproche le taux directeur du seuil sensible et effrayant des 10%.

Et ce n'est pas fini. Les experts croient que la banque centrale récidivera avec une nouvelle hausse de taux dès novembre.

La «crédibilité» de la banque centrale est en jeu, affirme Alberto Ramos, de la firme Goldman Sachs. Même si l'inflation a un peu ralenti récemment, elle reste très élevée à 7,4% (taux annualisé des prix non réglementés en septembre), soit bien au-dessus du taux visé de 4,5%.

Ralentissement

Ce qui dérange surtout les économistes, c'est que ce resserrement brutal des conditions du crédit survient à un bien mauvais moment: le modèle économique du Brésil, tiré par la consommation et l'exportation de matières premières, est à bout de souffle.

Premier producteur mondial de café et de sucre et important producteur de viande et de fer, le Brésil a bénéficié de la hausse des cours des matières premières jusqu'en 2010.

Cependant, «cette hausse des prix est artificielle, basée sur les taux d'intérêt nuls aux États-Unis et sur l'énorme demande chinoise», analyse Enrique Alvarez, économiste chez IdeaGlobal, à New York.

Sans surprise, les prix et la demande se sont dégonflés sous le coup de la crise européenne et du ralentissement de la Chine. Résultat: l'économie brésilienne, qui a crû de 7,5% en 2010, est tombée en panne en 2012 (+0,9%). Cette année, les prévisions font état d'une timide croissance de 2%, et le surplus commercial chuterait à 1,8 milliard US contre 19,4 milliards US en 2012, un coup très dur pour un pays exportateur.

Crédit débridé

En outre, durant ses bonnes années, le Brésil a développé son marché intérieur. En 10 ans, sa classe moyenne a augmenté de 40 millions de personnes (sur 200 millions d'habitants) et a vu croître son pouvoir d'achat dans un contexte de chômage en forte baisse.

Cependant, le crédit a été un moteur de la consommation brésilienne, si bien que l'endettement des ménages est à un sommet historique au moment où les taux d'intérêt montent en flèche.

Les prêts à la consommation ont plus que doublé en 5 ans (à 600 milliards CAN). Et avec des taux hyper élevés (70% sur une carte de crédit, 30 à 35% pour un prêt auto), les défauts de paiement explosent, et les banques prêtent de moins en moins, selon des sources bancaires.

Endettement massif

Les Brésiliens ont peu de marge de manoeuvre, car 20% de leurs revenus nets servent à rembourser des dettes; un taux deux fois plus élevé qu'aux États-Unis. De sorte que les agences de crédit s'impatientent et pourraient abaisser la note brésilienne, prévient la Deutsche Bank.

Pour plusieurs, les ennuis du Brésil sont une autre preuve que l'essor des pays émergents repose sur des bases friables.

La Russie et l'Inde vivent des problèmes similaires ces temps-ci, exposant les faiblesses de leur modèle économique.

Comme le disait un jour le financier Warren Buffett, «c'est quand la marée se retire qu'on voit qui nageait tout nu».