L'impasse sur le budget américain, qui a conduit à la paralysie de l'État fédéral, est en passe de s'étendre à la question du plafond de la dette, qui menace les États-Unis d'un défaut de paiement après le 17 octobre.

Frustrés de n'avoir obtenu jusqu'ici aucune concession sur le budget de la part des démocrates, de plus en plus d'élus républicains lient désormais le débat sur la fermeture des services fédéraux à celui du relèvement de la dette.

«Maintenant qu'on a la fermeture des services de l'État, je pense qu'on va voir la question du plafond de la dette se joindre au débat et le tout avancera ensemble», a ainsi prévenu le sénateur républicain Tom Coburn.

Pour le représentant républicain Paul Ryan, lier les deux questions représente «un mécanisme pour forcer» la conclusion d'un accord. «La plupart des accords budgétaires par le passé contenaient un relèvement du plafond de la dette», a expliqué cet élu de la Chambre des représentants dominée par les républicains.

Ces propos laissent penser que la fermeture des services fédéraux devrait se prolonger pendant les deux semaines qui viennent jusqu'à la date butoir du 17 octobre où, selon le Trésor, l'État américain ne pourra plus emprunter pour faire face à ses obligations financières.

Même du côté des démocrates, certains pensent qu'il faudra grouper les deux questions pour débloquer la situation. «Si tout est sur la table, tout est sur la table, y compris le plafond de la dette. Évitons de répéter ça deux fois. Si nous pouvons tout résoudre en un seul paquet, c'est beaucoup mieux», a déclaré mercredi le numéro trois des démocrates au Sénat, Charles Schumer.

Depuis mardi, les États-Unis ont fermé les services non-essentiels de l'administration et mis en congés sans solde des centaines de milliers de fonctionnaires, en l'absence d'un accord sur le budget au Congrès.

Davantage encore que la paralysie budgétaire et la fermeture des services fédéraux, l'impasse sur la dette constitue une sérieuse menace pour l'économie américaine.

«Pas de délai» au-delà du 17 octobre

Le Congrès a la prérogative de relever le plafond d'endettement des États-Unis, actuellement situé à 16 700 milliards de dollars, et la majorité républicaine à la Chambre refuse de le faire dans une intense bataille avec l'administration Obama.

À l'été 2011, un précédent blocage politique sur le plafond de la dette avait paralysé Washington, conduisant l'agence de notation Standard and Poor's à priver les États-Unis de leur prestigieux «AAA», gage de solvabilité maximale pour les marchés financiers.

Mardi, le secrétaire au Trésor, Jacob Lew a écrit aux élus leur rappelant qu'après le 17 octobre, il aurait utilisé toutes les mesures exceptionnelles de financement. «Il nous restera 30 milliards de dollars de trésorerie pour honorer les engagements de notre pays», a précisé M. Lew expliquant que ce montant était «bien en-dessous» de ce que peut parfois dépenser le Trésor en une seule journée, c'est-à-dire jusqu'à 60 milliards de dollars.

Le Congrès n'aura «pas de délai supplémentaire pour agir», a-t-il averti, craignant que «pour la première fois de leur histoire», les États-Unis ne puissent honorer leurs obligations financières.

À la sortie de la Maison-Blanche, le PDG de Goldman Sachs Lloyd Blankfein, un des banquiers qui a rencontré mercredi le président Obama, a remarqué que s'«il existe des précédents en termes de paralysie de l'État, il n'y a pas de précédent en termes de défaut».

Dans les négociations politiques, «il ne faut pas avoir recours à la menace d'un défaut sur la dette» comme moyen de pression, a-t-il estimé.

Sur la chaîne d'information économique CNBC, l'ex-président de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, a jugé le blocage «négatif parce que cela traduit l'immense difficulté pour la démocratie aux États-Unis --qui est exemplaire et représente un modèle pour beaucoup-- à trouver le moyen approprié (...) pour agir dans l'intérêt supérieur de la nation».

«Il serait totalement absurde que le plafond (de la dette, NDLR) ne soit pas relevé (...) parce que, là, c'est la crédibilité de la signature des États-Unis qui est en jeu», a encore dit l'ancien patron de la BCE.

Début de nervosité en Europe

Les appels indirects aux États-Unis pour que Washington sorte de l'impasse budgétaire se sont multipliés mercredi en Europe, avec ceux du président de la BCE Mario Draghi et du ministre français de l'Économie Pierre Moscovici.

Le président de la Banque centrale européenne (BCE) a estimé mercredi à Paris que la paralysie budgétaire aux États-Unis, ou «shutdown» serait, «si elle se prolongeait, un risque pour les États-Unis et pour le monde».

«À l'heure actuelle nous n'avons pas cette impression», a ajouté M. Draghi alors que le blocage budgétaire américain a conduit mercredi l'administration fédérale à se mettre en position de fonctionnement minimal, pour la première fois depuis 17 ans.

Interrogé par ailleurs sur l'éventualité d'un défaut américain, si le bras de fer entre le président Barack Obama et ses adversaires républicains persistait jusqu'à une date butoir fixée au 17 octobre, M. Draghi a dit: «Nous ne voyons pas cela» se produire.

Avant lui, le ministre français de l'Économie Pierre Moscovici avait jugé que la crise aux États-Unis, surtout si le pays se révélait incapable de trouver un accord sur le relèvement du plafond de la dette, «pourrait freiner la reprise en cours» a rapporté mercredi la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem.

«Nous attendons des chiffres plus précis mais il semblerait en effet que chaque jour de blocage conduise à une perte financière importante pour le pays (les États-Unis) et donc des conséquences sur ses partenaires», a-t-elle précisé.

Faute d'accord budgétaire entre républicains et démocrates, l'État fédéral américain a été contraint mardi de fermer ses services non essentiels et de mettre au chômage technique des centaines de milliers de fonctionnaires. Par ailleurs le Congrès a jusqu'au 17 octobre pour trouver un accord sur un relèvement du plafond de la dette, faute de quoi la première économie mondiale risque le défaut de paiement.

Un scénario toutefois jugé peu crédible tant par Mario Draghi que par plusieurs économistes dont Benjamin Carton, économiste au CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales).

«S'ils en sont là, il faut s'inquiéter pour l'avenir des États-Unis», explique-t-il à l'AFP, indiquant que le cas de figure n'était pas nouveau et que «comme d'habitude un relèvement du plafond allait être voté».

«Pas majeur»

Pour M. Carton, l'impact du blocage américain en terme de croissance, aux États-Unis comme dans le monde, «n'est pas majeur», en raison notamment du poids relativement faible du secteur public américain, par rapport à la France par exemple.

«Est-ce que cela peut casser la dynamique de croissance? Pour l'instant il n'y a pas d'évidence. Le scénario noir n'est pas là», assure M. Carton.

«Le blocage budgétaire a été plutôt bénin jusqu'ici, les effets sur les marchés relativement faibles», constate Laura Kodres, économiste au FMI, tandis qu'une porte-parole du ministère allemand de l'Économie indiquant qu'en cas de crise de courte durée «il ne devrait pas y avoir d'impact significatif».

Même constat de la part de Patrick Moonen, stratégiste d'ING Investment Management, pour qui «le plus grand risque n'est pas le 'shutdown', mais la discussion sur le plafond de dette».

Pour Benjamin Carton, c'est aussi cette «incertitude radicale sur la façon dont les États-Unis vont maîtriser leur déficit budgétaire».

Elle a «un impact important pour la politique monétaire car la Réserve fédérale (c'est-à-dire la banque centrale américaine) se retrouve obligée de gérer ce chaos, alors qu'elle a bien autre chose à faire, notamment mettre fin à sa politique très accommodante», souligne l'économiste.

Dans l'inquiétude des Européens, il voit également «peut-être une petite satisfaction» à pointer les problèmes américains, qui «relativisent la crise institutionnelle en zone euro», laquelle a été vertement critiquée du côté de Washington.