«Crédit express, en une heure»: alléchés par ce type d'annonces omniprésentes dans les rues de Moscou, comme par les offres des grandes banques, les Russes accumulent les prêts à des taux parfois extravagants.

Mais les autorités s'inquiètent de plus en plus de l'endettement des ménages, qui, après avoir alimenté la rapide croissance du pays ces dernières années, menace de devenir incontrôlable.

«Nous arrivons à la fin d'une période de croissance excessive du crédit à la consommation et le niveau d'endettement des ménages est dangereusement élevé», a prévenu cette semaine le ministre de l'Économie, Alexeï Oulioukaev.

En deux ans, le montant total des crédits accordés aux particuliers en Russie a doublé et dépasse désormais 8300 milliards de roubles (260 milliards de dollars), selon les statistiques de la banque centrale.

Dans le même temps, les revenus n'ont augmenté que de 22%, estime dans une étude récente la Sviaznoï Bank.

Cet établissement a calculé qu'une personne sur cinq qui lui demande un crédit détient déjà au moins cinq prêts et que l'endettement moyen de ses clients a été plus que multiplié par trois en deux ans, atteignant 440 000 roubles (environ 13 800$).

Chez certaines banques, jusqu'à 20% des clients sont en retard sur leurs paiements.

Urgent de s'attaquer aux «contrats opaques»

Elena, Moscovite de 39 ans, a contracté ces derniers mois quatre crédits à la consommation, pour 250.000 roubles (7840$), à des taux annuels compris entre 23% et 30%, pour des voyages destinés à préparer son mariage avec son compagnon géorgien.

Chaque mois, près de la moitié du salaire de cette responsable des ventes d'une petite entreprise locale part dans le remboursement de ses créances.

«C'est difficile, mais je paie mes remboursements», assure la jeune femme, qui espère se désendetter d'ici à un an... pour reprendre un crédit et pouvoir s'acheter une voiture.

Elena reconnaît avoir gonflé son salaire dans ses demandes de crédit. «La plupart des banques ne contrôlent rien», constate-t-elle.

Le patron de la première banque russe, Sberbank, a récemment jugé urgent de s'attaquer «aux contrats opaques» et aux «prétendues banques qui proposent dans les commerces des crédits dont les taux atteignent 90%».

Guerman Gref a annoncé que sa filiale de crédit Cetelem Bank, dont BNP Paribas détient 30%, proposerait à partir de cet automne aux Russes des crédits à des taux maximum de 17,5% pour qu'ils remboursent leurs emprunts plus coûteux.

L'idée est d'alléger le poids de la dette sur les ménages sans plomber la consommation intérieure, qui porte actuellement à bouts de bras la croissance de l'économie russe.

«On ne peut plus continuer à accumuler les risques», a reconnu fin juin la nouvelle présidente de la banque centrale, Elvira Nabioullina, promettant des mesures «pour éviter une surchauffe du secteur».

Le danger, évoqué par le président Vladimir Poutine, c'est un scénario du type «subprime» aux États-Unis, quand l'éclatement d'une bulle immobilière et des prêts accordés au mépris des capacités de remboursement des ménages avaient fait chanceler tout le secteur financier américain et au-delà.

Pour Ivan Tchakarov, économiste chez Renaissance Capital, le niveau d'endettement des ménages risque d'atteindre «la saturation d'ici un ou deux ans»

«Il y a une partie de la population, surtout en dehors des grandes villes, qui emprunte de plus en plus et dont il faut s'inquiéter», relève-t-il.

Loin de Moscou, les salaires restent très faibles et la population, peu armée face à une pratique relativement nouvelle en Russie, se laisse plus aisément tenter face aux clauses abusives proposées par d'obscures sociétés échappant à tout contrôle.

Les médias régionaux se font régulièrement l'écho des menaces des «collecteurs» engagés par les créanciers pour sommer les retardataires de régler leurs dettes.

L'an dernier, le coup de téléphone reçu par un habitant de Nijni-Taguil, dans l'Oural, en retard sur ses traites, a fait le tour du pays: on lui conseillait d'assassiner femme et enfants puis de mettre fin à ses jours, faute de quoi sa vie allait se transformer en enfer.

Face au scandale, l'établissement, Rousski Standard, a renvoyé l'employée.