Après une interminable période de noirceur, la Banque du Japon décrit aujourd'hui un panorama ensoleillé de l'économie nippone. La stratégie audacieuse du premier ministre Shinzo Abe donne jusqu'ici de bons résultats, à la faveur d'une reprise des exportations, des investissements privés et de la consommation.

Quinze ans de déflation. Une structure industrielle colossale qui se fissure, avec les Sony, Toyota et autres géants. Des consommateurs qui ne dépensent pas. Des entreprises qui n'investissent plus...

Et, comble de malheur, un gigantesque tsunami - en 2011 - qui a plongé le pays dans une grave crise.

Avec autant de difficultés, aussi longtemps, on avait presque perdu espoir. Mais voilà que le soleil réchauffe enfin l'économie japonaise. La semaine dernière, la Banque du Japon a décrit un panorama ensoleillé dans la troisième puissance économique mondiale.

Aux yeux des autorités monétaires, le Japon commence à "se reprendre », une expression absente du discours de la Banque depuis près de trois ans.

On évoque aussi "une reprise des exportations », "des signes de redémarrage des investissements privés« et "la solidité de la consommation ».

Une bouffée d'air frais, en somme, qui arrive à un moment où la Chine, elle, voit sa croissance ralentir de façon inquiétante.

Les « Abenomics »

Selon plusieurs experts, c'est la preuve que la stratégie du premier ministre Shinzo Abe, qui est entré en fonction en décembre, commence à porter ses fruits. Son remède aux maux japonais, surnommé les "Abenomics" par les milieux financiers, repose essentiellement sur trois piliers:

> Un plan de relance sur 15 mois qui équivaut à 2% du produit intérieur brut (PIB). Celui-ci est surtout axé sur les investissements publics pour reconstruire les zones touchées par le tsunami à Fukushima.

> La planche à billets: à l'instar des Américains et des Européens, les Japonais ont aussi adopté une politique monétaire très accommodante reposant sur l'injection record de capitaux par la Banque du Japon dans le système financier. L'objectif: doubler la monnaie en circulation et, du coup, abaisser le taux de change et requinquer l'inflation.

> Enfin, des politiques économiques pour soutenir les exportations, augmenter les salaires et attirer les investissements étrangers.

Ce cocktail puissant donne pour l'instant des résultats encourageants. Le yen s'est effondré depuis janvier face à l'euro et au billet vert américain, avec pour effet une hausse des exportations. Même la Bourse de Tokyo, sur une pente descendante depuis des années, a connu une poussée 50% jusqu'au printemps, avant de se corriger quelque peu au début de l'été.

Cela s'accompagne d'une batterie d'indicateurs positifs: les ventes au détail sont en hausse; l'activité manufacturière a atteint en mai son rythme le plus rapide en plus de deux ans; et les mises en chantier ont augmenté pour le neuvième mois de suite. Sans oublier que le moral des chefs d'entreprises s'améliore, selon l'indice Tankan de la Banque du Japon. Il est à son plus haut niveau depuis mars 2011.

Ce qui fait dire au "kataï", le chef du gouvernement Shinzo Abe, que « Japan is back ». « Le Japon est de retour. »

Pour le chef économiste de la firme Nomura, Richard Koo, Abe mène à tout le moins des politiques différentes de celles de ses prédécesseurs. Avec sa politique des "trois flèches« (politiques monétaire, budgétaire et économique), "le gouvernement s'attaque enfin aux réels problèmes du Japon », dit-il dans une étude.

Dettes et vieillissement

Reste que Shinzo Abe, 58 ans, ne pourra pas régler - même d'ici à la fin de sa vie - les problèmes les plus profonds du Japon.

Sa première flèche encourage les dépenses budgétaires (150 milliards de dollars additionnels en 2 ans), ce qui va aggraver l'endettement du pays qui atteint 245% du PIB, soit le taux le plus élevé du monde industrialisé. Même avec une économie florissante, il faudra des décennies pour corriger ce problème, selon les experts.

De plus, la population japonaise est celle qui vieillit le plus vite au monde, ce qui sape la croissance du pays à moyen et à long terme.

Le grand risque, donc, c'est que la reprise actuelle ne soit qu'un feu de paille. L'embellie pourrait ne vivre qu'une année, préviennent les sceptiques, jusqu'en avril 2014, date à laquelle la taxe sur la consommation passera de 5 à 8%, avant de grimper à 10% en 2015.

Sans oublier que Shinzo Abe a beaucoup à faire pour changer les mentalités dans son pays, notamment en favorisant l'intégration des femmes sur le marché du travail. Une mesure jugée nécessaire pour doper l'économie.

Sans cela, "le Japon essaie de courir le marathon sur une seule jambe », ironise Kathy Matsui, stratégiste de Goldman Sachs. Celle-ci plaide depuis des années pour une meilleure intégration de l'"autre moitié« de cette population de 126 millions d'habitants.

L'archipel a donc une grande côte à remonter. Mais, pour le moment, les Japonais voient le soleil levant.

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+ 2,8%

Projection de la Banque du Japon de la croissance du produit intérieur brut (PIB) pour l'année budgétaire 2013-2014.

2 ans

L'activité du secteur manufacturier japonais a augmenté en juin à son rythme le plus rapide en plus de deux ans, selon l'indice PMI Markit.