Surnommé le «Jaguar d'Amérique latine» en raison de son économie galopante au milieu des années 2000, le Brésil est maintenant aux prises avec une inflation alarmante et une économie qui piétine. Les autorités monétaires du pays ont fait un choix douloureux: s'attaquer à la hausse des prix avant qu'il ne soit trop tard... au risque de tuer la reprise.

Il est un membre du BRIC avec la Russie, l'Inde et la Chine, ce club des pays émergents les plus puissants de la planète. Le Brésil accueillera aussi la Coupe du monde du soccer en 2014. Puis les Jeux olympiques en 2016.

Pourtant, au pays de la fête et de la samba, la morosité et l'inquiétude s'installent dans les rues de Rio de Janeiro et de Sao Paulo.

C'est qu'un vieux démon, qu'on croyait disparu, revient hanter le Brésil: l'inflation. La hausse des prix - le même mal qui avait poussé la première économie sud-américaine au bord de la faillite durant les années 80 - frôle les 7%. Un rythme insoutenable qui gruge le pouvoir d'achat des consommateurs.

Aussi, la banque centrale du pays a pris tout le monde par surprise, jeudi dernier, en décidant de relever son taux directeur (le Selic) de 50 centièmes pour le porter à 8%.

Le Brésil devient ainsi le seul pays du G20 à hausser le coût du crédit. Et ce, dans un contexte de grande incertitude mondiale. La Bourse brésilienne a été secouée, culbutant de 2,5% en une journée (jeudi) pour porter ses pertes cette année à environ 10%, alors que Wall Street multiplie les records.

Une décision d'autant plus surprenante qu'elle intervient quelques heures après la publication d'un bilan économique très peu reluisant.

»Pibinho»

Au Brésil, on a un surnom pour le problème actuel, le «pibinho», un «petit» produit intérieur brut (PIB), comprendre une croissance économique ridiculement faible.

Malgré un ambitieux plan de relance concocté par la présidente Dilma Rousseff, la septième puissance mondiale a enregistré, de janvier à mars, une croissance décevante de 0,6%, rythme inchangé par rapport au trimestre précédent, selon les chiffres dévoilés mercredi dernier.

Cependant l'inflation, sujet toujours sensible pour les Brésiliens, outrepasse les limites fixées par les autorités monétaires. En mars, l'indice des prix a grimpé de 6,6% (rythme annuel), un sommet depuis novembre 2011, et a complètement raté la cible fixée à 4,5%. Début avril, le prix de la tomate s'est même envolé de 122%! selon les médias locaux.

La menace inflationniste est d'autant plus troublante que le gouvernement a pris les grands moyens pour la refouler, imposant une baisse des tarifs de l'électricité et des transports publics.

Or, avec un tel bilan, la croissance brésilienne restera sous le seuil des 3% «pour une période plus longue que ce que nous avions précédemment anticipé», estime la firme japonaise Nomura, qui table sur un taux d'à peine 2,4% en 2013. Gênant quand on sait que le Pérou et le Chili feront au moins deux fois mieux cette année.

La consommation menacée

La hausse des taux d'intérêt pour contenir les prix est donc un choix risqué. Surtout que la consommation est - avec les ressources naturelles - l'un des moteurs de la grosse machine brésilienne.

Le gouvernement de centre gauche qui, depuis l'arrivée au pouvoir de Luiz Inacio Lula da Silva en 2002, avait fait reposer la croissance sur l'appétit du consommateur, lui-même stimulé par la hausse des salaires et le crédit.

Les prêts à la consommation ont grimpé de 67% depuis trois ans au Brésil, selon un bilan officiel, soit presque huit fois la progression du PIB durant cette période. Les Brésiliens ont même pris goût aux achats par versements différés pour des biens courants, allant des chaussures aux accessoires de cuisine. Bref, on fêtait le carnaval... toute l'année.

Or, la firme londonienne Capital Economics note que les ménages brésiliens sont à bout de souffle. Leur niveau d'endettement est à un sommet, et les banques n'ont plus envie de danser, ayant même resserré les conditions du crédit.

De fait, les Brésiliens réduisent maintenant leurs achats. Le premier trimestre révèle un marché intérieur presque stagnant. Supermarchés, restaurants et boutiques ont vu leurs recettes baisser en avril et en mai, selon la banque brésilienne Itau.

«Les chiffres d'aujourd'hui augmentent les risques de voir la croissance restée atone sur les prochains trimestres, particulièrement si la reprise de l'investissement ne se confirme pas», rajoute la banque britannique Barclays.

À cet égard, il y a un rare motif de soulagement: l'investissement privé se redresse. Celui-ci a progressé au premier trimestre de 4,6%, après quatre reculs consécutifs causés par la baisse de la demande mondiale pour les métaux et les ressources naturelles, ce qui a grandement affecté l'industrie brésilienne.

Spécialiste de l'Amérique latine chez Nomura, Tony Volpon résume la situation dans une note publiée par l'agence Bloomberg. «Rien au Brésil n'a atteint un niveau de crise. Mais tout semble aller dans la mauvaise direction».