La Chine inquiète de plus en plus. Deuxième économie mondiale, elle ralentit et se bute à son modèle dépassé, qui repose largement sur l'investissement dans les infrastructures et le crédit. Des agences financières sonnent l'alarme.

La Chine s'apprête à ériger la plus haute tour du monde, à Changsha, dans la province du Hunan: le gratte-ciel Sky City, dont la construction débutera en juin, aura 838 mètres, 220 étages et sera un symbole de l'ascension du pays communiste, affirment les autorités locales.

D'autres vous diront que c'est plutôt un mauvais augure. On pense à l'Empire State Building, à New York (construit en 1930). Aux tours jumelles Petronas de Kuala Lumpur, en Malaisie (1997). À la tour Burj Khalifa, à Dubaï (2009)...

Autant de projets grandioses réalisés au début d'une crise économique dans le pays où ils sont sortis de terre. Comme si chaque fois qu'on veut se rapprocher du soleil, on se brûle les ailes.

La Chine ne s'en fait pas trop avec la légende d'Icare. Reste que la deuxième économie de la planète inquiète de plus en plus de monde, pour au moins deux raisons.

Premier problème: un endettement élevé. Les agences Fitch et Moody's viennent, en l'espace d'un mois, d'abaisser la perspective de la dette souveraine chinoise. Ces décisions traduisent les craintes qu'inspirent l'économie et, surtout, sa dépendance au crédit.

Autre source d'inquiétude: ce vaste et grand pays de 1,3 milliard d'habitants peine à faire le virage structurel essentiel à son développement à long terme. C'est-à-dire de passer d'une économie reposant largement sur les exportations et les investissements en infrastructures... à une économie mieux équilibrée qui dépend davantage de la consommation.

Dettes inquiétantes

Il faut se rappeler que, lors de la crise financière américaine de 2008-2009, le gouvernement chinois a répondu en adoptant un plan de relance massif (plus de 500 milliards US) reposant sur le crédit bancaire et les dépenses en infrastructures.

Pékin est ainsi parvenu à limiter l'impact de la débâcle occidentale. Mais cette stratégie a entraîné le doublement de la dette chinoise - publique et privée - à un taux d'un peu plus de 200% de la taille de l'économie (PIB), selon la banque suisse UBS. Au rythme actuel, on atteindra les 245% en 2015, selon les experts.

Certes, d'autres pays ont un niveau d'endettement similaire, notamment les États-Unis et le Japon. Mais dans le club des pays émergents, la Chine trône au sommet.

Moody's et Fitch s'interrogent surtout sur la montée du «crédit informel» en Chine. On parle de milliards de dollars de prêts, échappant aux banques d'État, qui sont offerts par d'obscures fiducies financières soutenues par des administrations régionales.

Cette forme de crédit parallèle a crû de 67% en un an, selon Moody's. Alors que les mauvaises créances augmentent, l'agence y voit «un risque systémique» pour le secteur financier.

En revanche, d'autres experts rétorquent que le problème de la dette chinoise est gérable. Pékin - avec ses réserves monétaires colossales de 3400 milliards US - a les moyens de contenir le crédit et de soutenir ses banques, si les choses tournent mal.

Moody's reconnaît d'ailleurs que la dette chinoise repose peu sur le financement extérieur, réduisant l'impact d'un choc externe.

Surcapacité

Reste que la Grande Muraille chinoise laisse voir de plus en plus de fissures. L'économie est en perte de vitesse: sa croissance est passée de 10,4% en 2010 à 9,3% en 2011 et à 7,8% en 2012. Et la décélération va se poursuivre, selon les prévisions.

Qui plus est, l'industrie chinoise a ralenti, confirmait jeudi un indice manufacturier. Et elle investit de moins en moins, pour la bonne raison qu'il y a une surcapacité dans plusieurs secteurs.

Selon le Fonds monétaire international (FMI), le taux d'utilisation des capacités de production est passé de 80% en 2005 à 60% cette année. Un taux trop faible, insoutenable. C'est sans oublier ces tours à bureaux flambant neuves, presque vides, qui ont surgi dans les grandes villes.

La surcapacité, industrielle et immobilière, est d'autant préoccupante que la Chine perd du terrain sur les marchés extérieurs aux dépens d'autres pays asiatiques qui profitent de salaires moins élevés pour lui voler des clients.

Entre-temps, la consommation au pays de Mao Zedong ne décolle pas. Les Chinois continuent à privilégier l'épargne pour financer leurs dépenses de santé et leur retraite. Malgré les efforts de Pékin, la part de la consommation dans l'économie stagne à environ 35%, selon la Banque HSBC, alors que l'investissement compte pour presque la moitié du PIB. Une aberration pour une grande puissance.

En somme, la Chine a du mal à faire le virage qui la rapprochera des économies développées. Pour le moment, Pékin investit dans la brique et le mortier pour faire tourner l'économie, mais la structure se lézarde.

Au moins, on pourra toujours de consoler au 220e étage du Sky City: la tête dans les nuages, on voit moins les fissures dans les fondations.