Après les déchirements au sujet du mariage gai, c'est LE dossier qui attise ces jours-ci les passions en France: devrait-on - ou pas - permettre aux universités du pays d'offrir davantage de cours en anglais?

La question, introduite par la ministre de l'Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, polarise au plus haut point les citoyens de l'Hexagone. Et met en lumière une évidence: les Français parlent très mal l'anglais, un problème majeur au moment où le pays s'enfonce dans une crise économique de plus en plus profonde.

Bernard Ramanantsoa, professeur et directeur général de HEC Paris, est catégorique. «Ne pas parler l'anglais véhiculaire aujourd'hui, c'est un peu comme si vous demandiez: est-ce qu'on peut se passer d'internet? Absolument pas. C'est un handicap.»

La performance des Français dans la langue de Shakespeare est nettement inférieure à celle de la majorité des pays européens.

Selon des données de la Commission européenne, relayées par Le Parisien, à peine 14% des étudiants maîtrisent ici l'anglais à leur entrée à l'université. Cela se compare à 27% en Espagne, 48% en Grèce... et 82% en Suède.

L'article 2 de la «loi Fioraso» sur l'enseignement supérieur propose d'autoriser - et non d'obliger - les universités à offrir des cours dans la langue de Shakespeare, tant aux Français qu'aux étudiants étrangers. Il a été adopté jeudi à l'Assemblée nationale après des débats passionnés.

Dans les faits, cette législation ne viendra que légitimer une situation qui a déjà cours depuis près de 20 ans en France. En vertu d'exceptions, près de 800 cours sont déjà donnés en anglais au pays, surtout dans les grandes écoles de commerce ou d'ingénierie.

Malaise social

Le débat sur la place de l'anglais arrive dans une période agitée pour la société française. Le pays, officiellement retombé en récession au premier trimestre de 2013, tente de sortir de l'impasse avec un mélange d'austérité budgétaire et de hausses d'impôt qui galvanise l'opinion publique. Les perspectives de croissance sont médiocres et le nombre de chômeurs continue de grimper de mois en mois.

La popularité du président François Hollande est au plus bas un an à peine après son élection, et le récent débat sur le mariage gai - accompagné de fortes manifestations - a contribué à déchirer encore plus les Français.

Dans ce contexte morose, Bernard Ramanantsoa croit que l'ouverture souhaitée envers l'anglais arrive à point. Car elle pourrait amener une bouffée d'air frais dans les universités françaises, voire dans la société en général, laisse-t-il entendre.

«Le moral n'est pas au beau fixe en France, c'est vrai, mais on devrait plutôt se réjouir que beaucoup d'étudiants étrangers viennent étudier ici, dit-il à La Presse. Je vois cela comme une source de réconfort, pas d'angoisse.»

Plusieurs médias français partagent ce point de vue. Le quotidien de référence Libération a même publié sa page couverture de mardi en anglais avec le titre sans équivoque: «Teaching in English: LET'S DO IT».

Une diversion

Dominique Barjot, professeur d'histoire contemporaine à l'Université Paris-Sorbonne, ne partage pas cet enthousiasme. Il estime que la ministre Fioraso a voulu se faire du capital politique avec cette question. Et détourner l'attention du principal écueil de la France - l'économie -, beaucoup plus criant et difficile à régler.

«Ce n'était pas le moment de lancer ce débat, a-t-il dit pendant un entretien. Mais vous savez pourquoi on lance des questions comme ça: c'est qu'on ne peut pas régler les problèmes économiques. C'est comme le mariage pour tous. C'est typiquement une diversion.»

M. Barjot reconnaît que la faible connaissance de l'anglais constitue un réel problème pour ses compatriotes. Or, plutôt que d'ouvrir davantage l'université à cette langue, il croit que l'anglais devrait simplement être mieux enseigné dès le début du parcours scolaire.

La question continue de faire rage dans un pays qui utilise pourtant des anglicismes à toutes les sauces. Plusieurs en France se demandent aujourd'hui, avec raison: what's next?

- 14%

Pourcentage d'étudiants français qui maîtrisent l'anglais en entrant à l'université

- 0,2%

Recul du PIB français au premier trimestre de 2013

- 0,9%

Diminution du pouvoir d'achat des Français en 2012, un record

Sources: Insee, Commission européenne