Après avoir limité au maximum ses commentaires sur ses rapports avec l'ex-dictature libyenne, SNC-Lavalin passe à l'attaque. Le géant québécois accuse son ancien vice-président de lui avoir causé des dommages possiblement irréparables, et veut le forcer à rembourser de sa poche quelque 1,85 million de dollars qu'il aurait «détournés» des comptes de la société pour financer illégalement la fuite de Saadi Kadhafi.

La Presse a obtenu la longue défense présentée par la firme de génie-conseil dans le cadre de la poursuite que lui a intentée l'ex-vice-président Stéphane Roy pour congédiement abusif.

Roy a été licencié en février 2012. Il est soupçonné par la GRC de s'être livré à des actes de fraude, corruption et blanchiment d'argent dans le cadre de ses fonctions. Mais il soutient qu'il ne méritait pas d'être congédié, car il n'a fait que suivre la «culture corporative» de l'entreprise.

L'enquête policière vise notamment les liens entre Roy, son ancien supérieur chez SNC, Riadh Ben Aissa, ainsi que Saadi Kadhafi, fils du dictateur Mouammar Kadhafi. À titre de dirigeant important du régime de son père, Saadi Kadhafi aurait reçu des millions en pots-de-vin de l'entreprise, selon l'enquête.

La GRC a notamment découvert que Roy avait payé les frais d'un condo de Kadhafi à Toronto et croit qu'avec Ben Aissa, il a ourdi un complot pour faire entrer clandestinement Saadi Kadhafi et sa famille au Mexique, alors que les rebelles et plusieurs pays occidentaux, incluant le Canada, venaient de renverser le régime libyen.

Impact dévastateur

SNC-Lavalin avoue que l'impact est dévastateur sur ses affaires. «Quant aux dommages causés à l'image de marque et à la réputation commerciale de (SNC-Lavalin) par suite des actes illégaux commis par [Roy] en utilisant son poste au sein de la compagnie, ils ne pourront sans doute jamais être réparés adéquatement», affirme l'entreprise dans sa défense.

Stéphane Roy et Ben Aissa «ont posé des gestes graves, en dehors du cadre normal de leurs fonctions [...] le tout en violation du code de conduite de SNC-Lavalin et au mépris flagrant et total des politiques et contrôles en vigueur», poursuit le document.

Stéphane Roy n'a qu'à se blâmer lui-même s'il peine aujourd'hui à trouver un nouvel emploi, affirme son ex-employeur, en ajoutant que Roy aurait dû savoir que son supérieur Ben Aissa agissait seul, sans l'aval des autres dirigeants.

Roy et Ben Aissa auraient commis des actes illégaux en payant les frais de condos de Saadi Kadhafi à Toronto alors que l'ONU avait décrété un gel des actifs des dirigeants libyens. Ils n'ont pas demandé à SNC de rembourser cette dépense, probablement parce qu'ils la savaient illégale, estime l'entreprise.

Surtout, ils ont camouflé aux autres dirigeants de SNC qu'ils s'appliquaient «à détourner des fonds de (SNC-Lavalin) afin de financier une opération visant à faire immigrer clandestinement et illégalement Saadi Kadhafi et sa famille au Mexique», avance le document déposé à la cour.

L'opération d'exfiltration était pilotée par la consultante Cynthia Vanier et le mercenaire ontarien Gary Peters, selon SNC. Elle avait été camouflée sous le prétexte d'une mission de reconnaissance et d'un rapport sur la guerre en Libye qui n'ont fourni «aucun détail utile» et n'ont été «d'aucun usage» pour l'entreprise.

«Afin de couvrir les coûts inhérents à ce projet camouflé en mission de reconnaissance des faits, Ben Aissa et (Roy), utilisant les niveaux d'autorité de dépenses dont ils jouissent (chez SNC-Lavalin), vont détourner vers Vanier et Peters des sommes qui atteindront un total de 1 847 500$», accuse la société dans sa défense.

SNC-Lavalin demande au tribunal de rejeter la poursuite de Roy pour congédiement abusif, mais aussi de le forcer à rembourser les sommes qu'il aurait détournées. Elle refuse aussi de rendre à Roy les actions de la société auxquelles il aurait normalement eu droit.