Environ 4300 milliards US. C'est le montant actuel des réserves monétaires des pays asiatiques, selon la Banque mondiale. Un bas de laine colossal qui, malgré les apparences, dérange de plus en plus la Chine, la Corée du Sud et d'autres pays émergents, car ce magot - alimenté surtout par la spéculation - gonfle artificiellement leurs devises et menace les exportations.

Pas facile d'être populaire parfois. La Corée du Sud et d'autres pays asiatiques en savent quelque chose.

Dans le but de décourager les spéculateurs qui affluent au pays, la Banque de Corée du Sud a dû réduire ses taux d'intérêt jeudi, emboîtant le pas à d'autres banques centrales qui tentent ainsi de dégonfler des devises trop fortes qui freinent leurs exportations.

Outre la banque coréenne, les autorités monétaires de l'Inde, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande ont abaissé leurs taux de référence depuis 15 jours, et d'autres pays, dont la Thaïlande et les Philippines, menacent de faire la même chose.

Le but de ces interventions: freiner les flux gigantesques de capitaux spéculatifs qui déferlent cette année sur la région asiatique, conséquence surtout des politiques ultra-accommodantes de la Réserve fédérale américaine, de la Banque du Japon et de la Banque centrale européenne qui inondent littéralement le marché mondial de liquidités.

Une bonne partie de cet argent, constatent les experts, dérive jusqu'en Asie.

4300 milliards US!

Faut-il rappeler que les banques centrales aux États-Unis (Fed), en Europe (BCE) et au Japon ont ramené leurs taux d'intérêt à des creux historiques, proches de zéro. Sans oublier que, par des opérations financières, elles injectent des milliards dans le système financier pour requinquer l'économie.

Bref, l'argent coule à flots.

Or, les faibles taux d'intérêt compliquent la vie des gestionnaires de fonds et des spéculateurs qui cherchent à placer de l'argent dans des placements sûrs et liquides offrant de bons rendements. Aussi, beaucoup d'investisseurs se tournent tout naturellement vers l'Orient pour dénicher les plus belles prises.

«L'Asie est toujours l'endroit où l'on trouve de la croissance. C'est de ce côté qu'on va diriger l'argent», résume la firme Nomura dans une note financière. En fait, il faut parler d'un tsunami de fric.

Selon les calculs de la Banque mondiale, les sommes investies dans les fonds obligataires asiatiques - des instruments financiers liquides et généralement fiables - ont bondi de 42% (en un an) au premier trimestre de 2013 pour atteindre 64 milliards US.

Une hausse prévisible. Car, à titre d'exemple, les taux sur les obligations en Corée du Sud et en Thaïlande sont deux à trois points de pourcentage plus élevés qu'en Europe ou aux États-Unis ces temps-ci. Donc un gage de succès, avec de meilleurs rendements et la sécurité en prime.

Et si on comptabilise les entrées de fonds de toutes sortes, les flux de capitaux étrangers sont encore plus imposants. Si bien que les réserves monétaires des pays asiatiques ont grimpé de 120 milliards US en un trimestre, portant leur bas de laine (excluant le Japon) à 4300 milliards US! toujours selon la Banque mondiale.

Évidemment, un tel torrent monétaire alimente la demande pour les devises locales. Dans le cas de la Corée du Nord, le won s'est apprécié de 24% par rapport au yen japonais en six mois.

De quoi déplaire aux Samsung, Hyundai et autres exportateurs coréens, qui perdent du terrain contre des concurrents profitant d'une monnaie affaiblie. La croissance de l'économie sud-coréenne est ressortie à 2% l'an dernier, le plus faible taux en trois ans, en raison surtout des exportations au ralenti.

À l'inverse, Toyota vient d'annoncer que ses profits avaient triplé l'an dernier. La raison? Le constructeur japonais ne le crie pas sur les toits, mais il profite de la faiblesse du yen - tombé à un creux de quatre ans vendredi contre le dollar américain - qui rend la marque Toyota plus attrayante et gonfle ses revenus en devises étrangères.

Aussi, les banques centrales coréenne, indienne et australienne en ont assez. Elles abaissent les taux d'intérêt afin de refouler les investissements spéculatifs - appelés «hot money» à Wall Street - qui ont le don d'entrer mais aussi de sortir rapidement d'un pays.

La Chine aussi

En dépit de ses réserves monétaires de 3400 milliards US, les plus grandes du monde, la Chine également ne s'amuse plus à la vue de ces vagues d'argent «chaud» qui s'abattent sur ses côtes.

La banque centrale chinoise vient d'annoncer des mesures pour freiner les capitaux spéculatifs qui menacent d'alimenter une envolée du yuan, la monnaie nationale.

Les chiffres les plus récents du commerce extérieur chinois ont beau montrer une hausse de 15% des exportations en avril - une hausse supérieure aux prévisions qui semble rassurante à première vue -, pour des économistes, ce bilan dissimule des flux spéculatifs enregistrés comme des transactions commerciales.

En réalité, les investissements spéculatifs étrangers sur les marchés chinois auraient atteint 180 milliards US au premier trimestre, selon des estimations. Une grosse déferlante d'argent, en somme, qui fait craindre l'émergence d'une bulle spéculative.

Les experts de Royal Bank of Scotland (RBS) estiment que la croissance réelle des exportations de la Chine n'a été que de 5,7% en avril, impliquant que les 9 points d'écart avec le chiffre officiel représenteraient des transactions commerciales fictives permettant aux étrangers d'augmenter leurs avoirs financiers en yuans.

Donc, avis aux spéculateurs: l'alerte au tsunami a été donnée. Les autorités asiatiques vous ont à l'oeil.

----------------------

Réserves monétaires (et en or)

(au 31 décembre 2012 en milliards US)

1. Chine 3120

2. Japon 1351

3. Union européenne 864

4. Arabie saoudite 627

5. Russie 538

19. États-Unis (31 décembre 2011) 148

31. Canada 66

Source: CIA World Factbook