Les Italiens élisent aujourd'hui un nouveau gouvernement qui héritera d'une économie paralysée et d'une dette hors de contrôle, la troisième au monde après celles des États-Unis et du Japon.

Felice Ruffini emploie l'un des rares ressortissants du Bangladesh de la petite ville de Rieti, à 100 km au nord-est de Rome. Même si un jeune sur quatre est sur le chômage dans le Bel Paese, il ne parvient pas à trouver de serveurs pour son restaurant, une table familiale.

«On dirait que les Italiens ne veulent plus travailler», dit M. Ruffini, rencontré en décembre dernier. «Ils préfèrent venir chez moi dépenser 20 ou 30 euros pour un souper plutôt que de faire deux à trois fois plus pour une soirée de travail. Je ne suis pas le seul: avant, on voyait surtout les immigrants d'Asie du Sud-Est comme plongeurs. Maintenant, ils sont cuisiniers et de plus en plus serveurs dans les restaurants typiquement italiens.»

Les choses pourraient cependant changer. Un important changement au régime d'assurance-chômage, qui jusqu'à maintenant ne couvrait que le quart des travailleurs, devrait d'ici quelques années encourager la mobilité de la main-d'oeuvre entre les entreprises et donc ouvrir des postes aux jeunes.

«L'Italie est fondée sur le travail à vie», explique Fausto Panunzi, qui dirige le département d'économie à l'Université Bocconi de Milan, celle dont le premier ministre Mario Monti était président jusqu'en novembre 2011. «On avait un travail, on le gardait. Le travail à vie signifie aussi qu'il ne faut pas prendre n'importe quel poste, il faut attendre le bon. Les familles aiment mieux subvenir aux besoins de leurs enfants plutôt qu'ils prennent un emploi comme serveur au restaurant.»

Le cas de l'évasion fiscale est assez surprenant, d'une perspective québécoise. Depuis les années 90, le fisc italien utilise les bases de données immobilières et d'immatriculations de véhicules pour repérer ceux qui cachent des revenus. Mais le gouvernement Monti a proposé d'ajouter le recours à d'autres bases de données, comme celles des douanes (pour les voyages), des services publics et des municipalités (notamment pour les permis de rénovation), comme cela se fait au Québec.

Le «redditometro» (revenumètre) a suscité l'indignation de la classe moyenne, des amateurs de téléréalités qui votent pour Silvio Berlusconi, au grand dam des intellectuels qui se pâment devant l'humoriste Beppe Grillo et son Mouvement cinq étoiles (entre 15 et 20% dans les sondages).

«On va compter combien de paires de chaussures on achète à nos enfants», décrie-t-on dans le talk-show Porta a porta, qui passe à la télévision publique mais est animé par un journaliste proche de M. Berlusconi.

«Il y a une admiration ou à tout le moins un respect pour qui fait de l'évasion fiscale», explique Ugo Trivellato, un économiste de l'Université de Padoue qui est spécialiste du sujet. «En France, 10% des revenus échappent au fisc. En Italie, c'est 30%.»

Au prix d'une viscosité sociale déprimante: au sein de l'OCDE, c'est en Italie qu'on retrouve la plus forte proportion des riches (10e percentile) qui sont nés dans une famille riche, soit 84%, selon une étude de 2008 de la Banque d'Italie.

L'économie cachée mine aussi le rendement sur les investissements, qui est deux fois moins élevé (2,2% contre 4,6%) en Italie qu'en Allemagne.

L'autre catastrophe à venir pour l'Italie est l'abolition de la taxe immobilière sur la maison principale - un cas unique dans l'OCDE - proposée par Silvio Berlusconi, et qui pèse sept milliards d'euros en 2013. Jusqu'en 2001, tout l'immobilier était taxé. Silvio Berlusconi a fait sauter la taxe sur la maison principale en 2001 puis sur les autres en 2008, mais Mario Monti a réintroduit une nouvelle taxe, particulièrement progressive - 90% des propriétaires paient entre 200 et 400 euros par année par maison et les 10% plus riches paient 45% de toutes les taxes immobilières.

L'Italie a connu seulement 3% de croissance économique depuis l'an 2000 et sa productivité stagne depuis 15 ans. Une désaffection des universités, qui ont perdu 50 000 étudiants sur un total de 1,8 million depuis 10 ans, et un exode des jeunes cerveaux compromettent une éventuelle embellie. «Mon fils est ingénieur à Berlin et ma fille prof à Yale, aux États-Unis, dit M. Trivellato. Ils auraient bien aimé rester ici, mais ils ne trouvent rien.»

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LE PARADIS DE L'IMMOBILIER

Taxes immobilières en proportion du PNB

Italie 0,6%

Canada 3%

États-Unis 3%

France 2,5%

Royaume-Uni 3,4%

Source: Agenzia del territorio