En cette fin d'année 2012, les entreprises américaines nagent dans l'argent -un grand bassin rempli de plus de 1700 milliards US, nous apprend la Réserve fédérale (Fed).

À peine quatre ans après l'éclatement de la crise financière aux États-Unis, America inc. a accumulé des liquidités records. Or, tout indique qu'une portion de ce festin se retrouvera sur la table des nantis pour la période de Fêtes, sous la forme de dividendes et de bonis divers.

Les salariés, quant à eux, se contenteront de quelques miettes, indique un autre rapport à Washington.

À la fin du troisième trimestre, les sociétés américaines (excluant le secteur financier) détenaient 1740 milliards US de liquidités (argent et titres facilement encaissables), selon la Fed. Il s'agit d'une hausse de 44 milliards US par rapport au trimestre précédent.

Avec la reprise dans l'immobilier et l'énergie qui tire la première économie mondiale, les entreprises américaines ont engrangé au troisième trimestre de solides résultats -avec une hausse de 19% de leurs profits, selon le dernier rapport sur le PIB (produit intérieur brut).

Pourtant, les géants américains et bon nombre de PME sont plus avares que jamais. On préfère conserver son argent face à l'incertitude économique mondiale, qui étouffe la propension habituelle des entrepreneurs à prendre des risques.

De plus, le choc appréhendé contre le «mur budgétaire» - un mélange de compressions des dépenses de l'État et de hausses d'impôts devant entrer en vigueur en 2013 - ne fait qu'attiser l'angoisse générale.

Autant de raisons pour les dirigeants, donc, de ne pas miser des sommes importantes sur une nouvelle usine ou dans l'embauche de travailleurs. Si bien que des centaines de milliards dorment dans les coffres des entreprises, leurs liquidités atteignant des proportions rarement vues auparavant.

Près de 6% de l'actif total des entreprises non financières était composé de «cash» à la fin septembre, selon la Fed, alors que la proportion moyenne dans les années 80-90 était plus près de 4%.

Les Britanniques ont une expression pour ce phénomène: «dead money», de l'argent qui ne produit rien.

Vite les cadeaux

Cependant, beaucoup de gens fortunés vont bientôt profiter de cette manne.

Ceux qui suivent les nouvelles à Wall Street ont pu s'en rendre compte: plusieurs entreprises ont soudainement décidé de redistribuer leurs profits accumulés. La raison: éviter les ponctions fiscales qu'envisage pour 2013 le président Barack Obama.

Selon des données de l'agence Bloomberg, quelque 150 sociétés -du détaillant Costco en passant par le fabricant de meubles La-Z-Boy - viennent de déclarer des «dividendes spéciaux» totalisant 20 milliards US pour devancer les hausses d'impôt attendues l'an prochain.

Économiste pour la firme Wrightson ICAP, Lou Crandall prédit que ces «cadeaux» des sociétés américaines pourraient dépasser les 50 milliards US avant que l'on crie «Happy New Year!» à Time Square.

Le fossé s'élargit

Cela fera beaucoup d'argent pour les plus riches. Car sur les dividendes versés par les entreprises (124 milliards US en 2009), un peu plus de la moitié (52%) aboutit généralement dans les poches des gens ayant un revenu annuel de 250 000$US ou plus, d'après le fisc américain.

Entre-temps, les travailleurs attendent toujours les retombées de la timide reprise américaine, indiquent des études.

Globalement, les profits des entreprises ont représenté 11% de l'économie américaine au troisième trimestre 2012 (voir graphique). C'est une proportion record, affirme le département du Commerce.

Par contre, la part des salaires dans l'ensemble de l'économie est, quant à elle, tombée à un creux historique de 43,5% alors qu'elle était de 49% en 2001.

Si la part du gâteau des travailleurs diminue, c'est parce que leur salaire augmente à peine. Celui-ci a grimpé de seulement 1,2% en octobre (taux annualisé) - la plus faible hausse enregistrée depuis que le département du Travail a commencé à compiler ces données... en 1965!

Directeur de la recherche à l'Institut de politiques économiques à Washington, Josh Bivens témoigne de la frustration ressentie par beaucoup d'Américains.

« (Ces statistiques) ne sont qu'une autre indication de l'incroyable inégalité de la distribution de la richesse» aux États-Unis, déplore-t-il dans un billet économique. D'autres commentaires entendus récemment à ce sujet se résument en un mot: décourageant.