L'Allemagne est convaincue des vertus de son modèle économique et tente d'imposer ses recettes à l'échelle européenne comme la voie à suivre pour retrouver le chemin de la prospérité.

La confiance du pays à cet égard a été illustrée de criante façon en juin dernier par le tabloïd Bild, un journal populaire à grand tirage qui multiplie les sorties-chocs relativement à la crise de l'euro.

Alors que la population s'apprêtait à se rendre aux urnes pour décider de la composition du prochain gouvernement, le quotidien a interpellé directement les Grecs en relevant qu'ils devaient éviter de voter pour les partis remettant en question les mesures de redressement exigées par les créditeurs.

À défaut d'obtempérer, prévenait le journal, l'Allemagne et les autres pays de la zone euro cesseraient d'alimenter les distributeurs de billets et ils se retrouveraient sans le sou.

Une réaction féroce

Le rédacteur en chef adjoint derrière l'initiative, Nikolaus Blome, rigole lorsqu'on évoque avec six mois de recul l'impact de cette singulière intervention transfrontalière. «Nous n'avions jamais envisagé que la réaction serait si féroce», souligne le journaliste. Bien qu'il juge la phrase sur les distributeurs un peu provocatrice, il ne renie rien de l'éditorial. «Je pense que certains segments de la société grecque, des partis grecs, cherchaient simplement un bouc émissaire. Il est plus facile de dire qu'il y a un méchant journal en Allemagne écrivant de méchantes choses sur les Grecs que de se demander si ces choses sont vraies», dit-il.

Les Grecs ont vécu «sur de l'argent emprunté» des marchés financiers et doivent ajuster le tir. «Ils ont financé leur niveau de vie avec une partie de cet argent. Maintenant, l'argent est parti alors le niveau de vie doit diminuer également», résume M. Blome, qui voit un scénario similaire à l'oeuvre en Espagne, au Portugal ou encore en Irlande. Les réformes engagées par l'Allemagne dans les années 2000 pour réformer le marché du travail et réduire les dépenses publiques constituent, selon lui, une «sorte de guide» pour les États en difficulté.

Bien que les banques allemandes aient facilité la consommation dans certains pays en difficulté, le journaliste ne pense pas qu'il faille les tenir responsables des excès survenus. «J'ai tendance à penser que si vous vous rendez à la banque pour demander un prêt, c'est votre responsabilité et non celle de la banque», souligne-t-il.

Jiannis Savvidis, artiste gréco-allemand établi à Berlin, n'est pas du même avis. «Il faut deux parties pour faire une transaction financière. Si je vais à la banque ici demander un prêt, ils vont étudier ma situation financière de près. Alors pourquoi est-ce qu'ils ne l'ont pas fait avec la Grèce?», souligne-t-il. Il est vrai, note M. Savvidis, que les Grecs ont largement tiré profit de l'abondance de crédits pour améliorer très rapidement leur niveau de vie sans prendre garde à l'endettement. «Il y avait même des prêts pour les cadeaux de Noël», illustre-t-il.

Des reproches

Dans les premières phases de la crise grecque, l'artiste a parfois dû faire face à des réactions négatives d'amis allemands qui lui reprochaient les dépenses inconsidérées de ses compatriotes. «Mais les choses ont changé. Je pense qu'aujourd'hui, tout le monde comprend que le problème n'est pas seulement lié à la corruption de la société grecque, mais à un problème beaucoup plus important», dit M. Savvidis.

Les efforts demandés des pays en difficulté ne servent qu'à «boucher les trous» pour préserver le système en place alors qu'une véritable remise à plat s'impose pour relancer le projet d'unification européen.

L'Allemagne, à cause de ce qu'elle a vécu après les deux guerres mondiales, sait exactement ce que signifie pour une société d'être «mal en point économiquement» et devrait à ce titre se montrer plus compréhensive avec les pays en difficulté de la zone euro, conclut l'artiste.

Le constat n'est pas partagé par Nikolaus Blome, qui insiste sur le fait que ses compatriotes ont fait des efforts financiers considérables depuis le début de la crise.

Les contribuables allemands, dit-il, sont soucieux des efforts engagés et rechignent à payer plus à juste titre. «Ce que nous avons mis en jeu pour aider ces pays et sauver l'euro est remarquable», conclut le rédacteur en chef adjoint de Bild.