C'est un cauchemar qui réveille les banquiers la nuit: un marché immobilier gonflé au crédit facile, des prix qui chutent, des familles incapables de rembourser leurs dettes.

Vous avez reconnu les États-Unis avant la crise financière 2008-2009? Ou l'Espagne aujourd'hui?

Non. Bienvenue aux Pays-Bas, l'une des économies les plus prospères d'Europe... pourtant aux prises avec un énorme problème financier. C'est aussi un dérapage qui devrait faire réfléchir beaucoup de Canadiens.

Le «pot» a beau être consommé en toute légalité dans certains cafés d'Amsterdam, les propriétaires de maisons aux Pays-Bas ne planent pas très haut ces jours-ci: les prix de l'immobilier se sont effondrés de 20% depuis le pic enregistré en 2007.

L'éclatement de la bulle immobilière a un effet dévastateur, ayant plongé plus de 10% des propriétaires dans une situation financière précaire. Pire, cette glissade devrait se poursuivre, selon un rapport de la banque UBS.

Hypothéqués jusqu'au cou

Quelque 500 000 ménages se trouvent aujourd'hui en situation de faillite technique, selon la Banque centrale des Pays-Bas, car la valeur marchande de leur maison est maintenant inférieure à leur prêt hypothécaire. Les Américains appellent ça être «under water»: autrement dit, des pauvres proprios ayant littéralement la tête sous l'eau au plan financier.

Qu'est-ce qui a créé la bulle immobilière aux Pays-Bas, l'un des trois derniers pays ayant toujours la cote AAA en Europe?

D'abord, un accès facile au crédit. Le marché a été gonflé par des taux d'intérêt avantageux et très peu de limites imposées par les banques quant au montant des prêts hypothécaires consentis. Comme aux États-Unis, et même au Canada, jusqu'à récemment.

Au plus fort du boom immobilier en 2008, il n'était pas rare de voir les banques néerlandaises prêter à des clients plus de 100% de la valeur marchande de leur nouvelle maison, racontaient des médias européens l'été dernier.

De plus, les acheteurs ont bénéficié des généreuses politiques de l'État pour favoriser l'accès à la propriété, dont la déduction fiscale des intérêts hypothécaires (un joli cadeau qui n'est pas offert au Canada). Une mesure que les économistes d'UBS qualifient aujourd'hui de «mauvaises incitations» ayant contribué au dérapage immobilier.

Résultat de cette foire du crédit: les Néerlandais portent sur leurs épaules le plus gros fardeau hypothécaire d'Europe, avec un solde cumulatif équivalant à 110% de la taille de leur économie. C'est plus de deux fois la moyenne européenne (environ 50%).

Au Canada, par comparaison, les dettes hypothécaires des ménages représentent au total environ 80% du PIB (produit intérieur brut).

Les agences de crédit ont sonné l'alarme fin juillet. Avec des consommateurs aussi endettés, la faiblesse de l'économie et la crise de la zone euro, la firme Moody's a placé la dette souveraine des Pays-Bas sous perspective négative.

Si cela a une résonance familière de notre côté de l'Atlantique, c'est que Moody's a justement servi un avertissement similaire aux banques canadiennes... il y a deux semaines!

Pour l'heure, les banques néerlandaises tiennent bon: seul 1% des détenteurs d'hypothèques sont en retard de plus de 60 jours dans leurs paiements mensuels, selon les chiffres rendus publics. Autre tampon: la plupart des propriétaires ont souscrit des contrats à taux fixe, souvent sur une durée de 10 ans.

Reste que l'inquiétude s'accroît au pays de la tulipe à mesure que l'immobilier se fane.

Les Danois aussi

Au sujet de l'endettement des ménages, le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, faisait cette remarque l'été dernier: «Notre économie ne peut pas compter indéfiniment sur les dépenses des ménages alimentées par l'endettement».

Les Pays-Bas comprennent bien aujourd'hui la portée de ce message. On pourrait dire la même chose d'un autre pays «riche», le Danemark, également considéré comme un bastion économique en Europe.

Les prix de maisons danoises ont chuté de 25% depuis leur sommet en 2007. Et la glissade risque de continuer en 2013, affirmait le mois dernier le Conseil économique national.

Comme d'autres, les Danois ont succombé à la «créditmanie». Si bien qu'ils forment aujourd'hui le peuple le plus endetté d'Europe, avec une dette personnelle globale (hypothèques, prêts personnels, etc.) représentant un taux faramineux de 322% de leur revenu disponible!

Les Canadiens, peut-on se consoler, sont relativement moins étranglés au plan financier, avec des dettes équivalant à 163% de leur revenu après impôt. Un niveau néanmoins record et fort inquiétant.

D'ailleurs, des fissures ont commencé à apparaître dans l'immobilier canadien, surtout à Vancouver, comme on a pu le lire dans l'excellent reportage de notre collègue Maxime Bergeron en fin de semaine.

Beaucoup de Danois et de Néerlandais, qui souffrent d'une sérieuse gueule de bois après un party immobilier de plusieurs années, pourraient donner ce petit conseil aux Canadiens: avec le crédit, comme avec l'alcool, la modération a bien meilleur goût.