Comme s'ils s'étaient donné le mot, le Fonds monétaire international (FMI) et le comité Nobel norvégien ont souligné hier qu'il fallait persévérer dans l'édification européenne, malgré les assauts répétés des marchés financiers et les valses-hésitations politiques.

Hier, la secrétaire générale du FMI, Christine Lagarde, a profité de son discours d'ouverture à la réunion semestrielle de l'organisme, exceptionnellement organisée à Tokyo, pour inciter les décideurs à poursuivre la laborieuse intégration économique des 27 pays de l'Union européenne. Pour restaurer la croissance et faire reculer le chômage, a-t-elle insisté, il importe de trouver «le bon dosage d'ajustement fiscal en ayant à l'esprit de ne pas compromettre la croissance tout en ayant des plans réalistes et solides de réduction de la dette à moyen terme».

Quelques heures après, le comité Nobel causait toute une surprise en décernant son prix le plus prestigieux, celui de la Paix, à l'Union européenne pour sa contribution «à promouvoir la paix».

Les eurosceptiques ont vite raillé cette attribution au moment où la zone euro peine à définir la marche à suivre pour endiguer la crise de la dette publique. La réception hostile à Athènes de la chancelière allemande Angela Merkel, plus tôt cette semaine, est une belle illustration.

L'édification européenne, commencée en 1957 avec le traité de Rome, reste pourtant un formidable chantier de promotion de la paix au sein d'États qui s'étaient entredéchirés durant des siècles et au cours de deux guerres mondiales, au XXe siècle seulement.

Voilà pourquoi le président du Conseil européen, le Néerlandais Herman Van Rompuy, a accueilli le prix en rappelant que «les Européens sont parvenus à surmonter la guerre et les divisions».

Son vis-à-vis à la Commission européenne, le portugais Jose Manuel Barroso, a jugé pour sa part que «le message est que l'Union européenne est quelque chose de très précieux».

L'appel de Mme Lagarde faisait suite à une entrevue donnée jeudi à la BBC dans laquelle elle plaidait pour accorder un délai de deux ans à la Grèce pour la mise en place de son plan d'extrême austérité. Le pays du bouzouki s'enfonce dans la récession depuis cinq ans et la taille de son économie reculera encore en 2013.

La grogne populaire y est telle que la tentation totalitaire grandit dans les casernes. La Grèce a été sous la botte des colonels de 1967 à 1974, il ne faut pas l'oublier. Un retour à la dictature serait un violent démenti au comité Nobel et la porte de sortie de la zone euro pour le berceau de la démocratie.

Le FMI reste perçu comme un apôtre de l'efficacité des marchés et de la petitesse de l'État. Cette semaine toutefois, il a fait un mea culpa aussi inattendu qu'extraordinaire qui explique l'appel à la patience de sa directrice générale.

Le FMI a repensé complètement le rapport entre austérité fiscale et croissance, ce qui l'a amené à abaisser sa prévision de l'expansion mondiale. Jusque-là, il estimait que chaque dollar de coupe budgétaire ou de hausse d'impôt entraînait une baisse de 50 cents de la croissance. Autrement dit, on pouvait se rapprocher des deux dollars d'austérité et avoir quand même une faible croissance.

Avec les dysfonctionnements actuels du système bancaire européen, le FMI estime maintenant que chaque dollar d'austérité ampute l'activité économique de 90 cents jusqu'à 1,70$.

Bref, poursuivre dans la démarche actuelle représente un gouffre économique et une bombe politique.

C'est jeudi que le FMI, l'UE et la Banque centrale européenne doivent décider si Athènes pourra recevoir la tranche de 31 milliards d'euros prévus dans le deuxième plan de sauvetage de 130 milliards d'euros, adopté il y a deux ans. Faute de quoi, ce sera la banqueroute.

Le même jour, il y aura un sommet des 27 chefs de l'UE.

On y verra sans doute encore une fois que l'édification de la paix exige détermination et patience, en dépit des tensions qu'attiseront les marchés financiers aux préjugés eurosceptiques indubitables.