Des centaines de manifestants prendront d'assaut le quartier financier de New York lundi prochain pour marquer le premier anniversaire d'Occupy Wall Street. Mais au-delà de ces coups d'éclat, que reste-t-il de ce mouvement qui a fait des émules aux quatre coins du monde? Tout dépend à qui on pose la question...

Zuccotti Park est paisible en cette fin d'après-midi de septembre. Quelques touristes prennent une pause, de vieux hommes disputent une partie d'échecs, un groupe d'enfants joue à l'ombre du nouveau World Trade Center, en construction à deux coins de rue. Les seuls attroupements sont autour des cantines mobiles qui vendent leurs hot-dogs et leurs kebabs en bordure du parc.

Le calme des lieux tranche avec les images du 17 septembre 2011, quand des centaines de militants ont envahi Zuccotti Park pour protester contre les excès de l'industrie financière. C'était le jour 1 d'Occupy Wall Street, un mouvement d'indignation populaire - et d'occupation des lieux - qui a fait des émules dans plus de 900 villes, de Boston à Montréal en passant par Londres et Mexico.

Pendant des semaines, les occupants de ce campement de fortune, à quelques pas de Wall Street, ont fait la manchette. Puis, l'intérêt médiatique est tombé à zéro après l'éviction des manifestants, le 15 novembre. Ce qui ne signifie pas que le mouvement est mort pour autant, insiste Ed Needham, l'un des porte-parole d'Occupy Wall Street.

«L'occupation physique de Zuccotti Park avait une esthétique très puissante, qui a amené un très fort niveau de couverture médiatique», rappelle-t-il.

«Quand l'occupation a pris fin, le volume de couverture a fortement baissé et, dans un sens, cela a été libérateur pour nous. Les enjeux sanitaires et la gestion du camp n'étaient pas les questions les plus importantes pour nous! Ce qui compte, c'est de se battre contre la cupidité capitaliste et la corruption.»

Un an plus tard, Occupy Wall Street - mouvement sans chef inspiré des indignados espagnols et du Printemps arabe - demeure bien vivant dans les médias sociaux. Sur Facebook, plus de 1800 internautes ont confirmé qu'ils participeraient à une grande manifestation prévue à Wall Street lundi prochain pour souligner ce premier anniversaire.

Les sites web, comptes Twitter et autres plateformes liées à Occupy sont nombreux.

Environ 70 groupes, dont 30 à 40 sont "très actifs", organisent encore des activités régulières à New York, dit Ed Needham. Ils ont par exemple tenu toutes sortes d'ateliers d'éducation populaire en marge des conventions républicaine et démocrate au cours des dernières semaines.

Le plus grand héritage du mouvement, pour M. Needham, sera toutefois d'avoir amené dans le «débat public» des enjeux comme l'endettement massif des étudiants américains.

Le mouvement a aussi laissé quelques slogans puissants, dont le célèbre «Nous sommes les 99%» (par opposition au 1% des nantis de la société). «On pense avoir mis en lumière la polarisation de plus en plus grande entre les riches et les pauvres depuis 10 ans dans ce pays», dit le porte-parole.

Un héritage, vraiment?

Tous ne partagent pas l'interprétation d'Ed Needham quant au legs laissé par le mouvement. Lawrence J. White, professeur de sciences économiques à la New York University's Stern School of Business et auteur de plusieurs ouvrages sur la régulation du système financier, voit Occupy Wall Street comme une manifestation anecdotique du désarroi des jeunes, tout au plus.

«Mon impression est qu'Occupy Wall Street a été une expression de frustration et de tristesse, très circonscrite dans le temps, de la part d'un groupe de jeunes gens, dit-il en entrevue. Ce qui leur a nui, c'est qu'ils n'avaient pas de plan spécifique, pas de programme.»

Les ateliers d'éducation populaire ou la présence massive sur les médias sociaux n'ont pas vraiment d'impact sur la société, croit l'expert. Sans gestes concrets - comme le boycottage d'une institution financière, par exemple -, les militants n'auront aucun pouvoir réel sur la conduite des affaires de Wall Street, avance-t-il.

«Je ne pense pas que ce mouvement a changé grand-chose, dit M. White. C'était un événement digne d'intérêt médiatique, et peut-être que les livres d'histoire sur la crise financière pourront mentionner Occupy Wall Street comme une manifestation de désarroi d'un groupe de la société. Mais les mentions historiques seront le seul héritage de ce mouvement...»

Le professeur croit malgré tout que le système financier américain est plus sûr qu'il ne l'était avant la crise financière de 2008. Il salue la loi Dodd-Frank adoptée en 2010 par le gouvernement de Barack Obama, qui encadre de nombreux volets de l'industrie bancaire, comme la compensation des produits dérivés.

«Il y a certains éléments qui ne devraient pas faire partie de cette loi, selon moi, mais, au final, je crois que ç'a été une loi assez bénéfique, car elle a rendu le système financier plus sûr, avance-t-il. Il n'est pas encore aussi sûr que je le voudrais, il y a encore trop d'effet de levier et pas assez de capital, mais il y a eu des progrès. J'espère simplement qu'il n'y aura pas d'amnésie quant aux problèmes qu'on a subis.»

Les militants d'Occupy Wall Street de la première heure comptent aussi se battre contre l'amnésie collective... et ils le feront savoir bruyamment lundi dans les rues de Manhattan.