L'ancien premier ministre français Alain Juppé n'exclut pas que certains pays sortent de la zone euro. Mais il estime que le pessimisme nord-américain envers la monnaie européenne est exagéré et assure que la France et l'Allemagne feront le nécessaire pour la sauver.

En entrevue à La Presse, avant une conférence organisée par la Chambre de commerce française du Canada à Montréal, le politicien de droite a de plus attaqué le bilan du gouvernement socialiste, qui selon lui affaiblit la classe moyenne. Le seul bon coup de François Hollande, selon M. Juppé, est d'avoir débloqué des investissements de 120 milliards d'euros - «un minimum» - lors d'une rencontre début juillet avec Angela Merkel, des sommes qui étaient de toute façon déjà prévues.

«Je suis plus que sceptique, je suis sévère», martèle le maire de Bordeaux, dont la conférence portait sur sa ville. «Le nouveau gouvernement ne s'est absolument pas attaqué aux problèmes de compétitivité. La France en a perdu au fil des ans par rapport à l'Allemagne. Si on veut relancer la croissance, il faut investir dans l'innovation et la recherche, améliorer la formation des salariés, diminuer les coûts du travail, les charges sociales, et diminuer la rigidité du droit du travail. Au contraire, en trois mois, on a vu deux décisions qui vont dans le sens contraire. On a annulé la défiscalisation des heures supplémentaires, qui bénéficiait surtout à la classe moyenne. Et on a annulé la hausse de la TVA, qui avait permis de diminuer les charges sociales.»

La défiscalisation des heures supplémentaires signifiait qu'elles n'étaient plus soumises à l'impôt sur le revenu ni aux charges sociales payées par l'employeur (assurance-santé et retraite, par exemple). La hausse de 19,6% à 21,2% de la taxe sur la valeur ajoutée avait été surnommée «TVA sociale» ou «TVA antidélocalisation» par le gouvernement Sarkozy, parce que les baisses de charges sociales qu'elle permettait d'améliorer l'attrait de la France pour les entreprises.

Les dividendes moins imposés

Au contraire, le gouvernement socialiste a introduit une surtaxe de 3% sur les dividendes. Comme au Canada, les dividendes en France sont moins imposés que les salaires, notamment pour refléter le fait qu'ils proviennent des profits après impôts des entreprises (les salaires peuvent être déduits du revenu imposable d'une entreprise).

Ces mesures n'ont toutefois pas apaisé l'aile gauche socialiste. L'hebdomadaire L'Express titrait la semaine dernière «Les cocus de Hollande» pour illustrer les déceptions des fonctionnaires, syndicats, environnementalistes et autres opposants au grand capital. Entre autres, le maintien du traité d'union budgétaire européen voulu par la chancelière allemande Angela Merkel, qui restreint les déficits des gouvernements, est vu comme une trahison. Ce traité est la version européenne d'une entente allemande de 2009, qui a permis aux riches États du sud de l'Allemagne d'imposer leur rigueur budgétaire aux États du nord et de l'est du pays, en échange de la prise en charge de la dette publique de ces derniers.

«Il y a beaucoup de zizanie entre les membres du gouvernement socialiste, sur le nucléaire, sur les Roms», confirme M. Juppé. «Mais pour ce qui est de la rigueur budgétaire, ce n'est pas l'Allemagne qui la demande, mais les marchés. Ils ne veulent plus prêter aux États trop endettés.»

Des investissements de 35 milliards d'euros

En 2009, M. Juppé a coprésidé la «commission du grand emprunt», qui a débouché sur des investissements publics de 35 milliards d'euros en infrastructures. Ce genre de stratégie n'est-elle pas incompatible avec la rigueur budgétaire? «Il ne faut pas tuer la poule aux oeufs d'or avec la rigueur. L'important, c'est que ces investissements soient tournés vers l'avenir, pas pour les dépenses courantes. Et d'y aller rapidement. En trois ans, on a décaissé les deux tiers des crédits du grand emprunt. Je doute qu'il soit possible d'être aussi rapide avec l'Union européenne.»

L'euro peut-il disparaître? «Il y a en France et en Allemagne une détermination de maintenir l'euro. L'Italie, par exemple, a un excédent budgétaire primaire et des entreprises très compétitives.»

Et la Grèce? «Tout est à faire. Il faut par exemple construire une administration fiscale qui n'existe pas.»

Entrevoit-il une solution sans la sortie de pays de l'euro? «Oui, on espère. En tout cas, la sortie d'aucun pays majeur.»