Les Grecs sont appelés de nouveaux aux urnes demain lors d'élections législatives cruciales qui pourraient amener au pouvoir une coalition de la gauche radicale déterminée à revoir les mesures d'austérité imposés au pays par ses créditeurs. Un scénario à haut risque pouvant déboucher sur une crise de grande envergure, relate notre journaliste Marc Thibodeau.

Maria, une résidante d'Athènes souffrant d'une infection des voix respiratoires, s'est présentée il y a quelques jours à l'hôpital Evangelismos dans l'espoir de recevoir des soins qu'elle ne peut se permettre.

L'établissement public a accepté «difficilement» de la recevoir même si elle n'est pas assurée et manque cruellement d'argent. Son mari a perdu son emploi après s'être cassé la jambe il y a deux ans et n'a pu rétablir la couverture médicale familiale depuis.

«Je ne sais pas si je vais avoir à payer pour les soins. Ils ne me l'ont pas dit», a confié d'une voix tremblante la femme de 40 ans, rencontrée devant l'urgence avec son dossier à la main.

Dans un autre quartier d'Athènes, Ana est ressortie d'une pharmacie avec, à la main, une boîte de médicaments requis pour lutter contre son problème de haute pression sanguine.

«Je suis chanceuse parce que je suis capable de payer mes médicaments. Je vais envoyer la facture à l'assurance. J'espère qu'ils vont me rembourser», a souligné la vieille dame, qui s'est résignée à régler elle-même la note à la demande de son pharmacien.

Comme nombre de ses collègues, il exige désormais d'être payé directement par ses clients parce que le fonds gouvernemental assurant la couverture des médicaments accumule les arriérés.

Lundi, des patients souffrant de maladies graves ont tenu une conférence de presse pour souligner qu'ils avaient du mal à avoir accès aux produits dont ils ont besoin.

Le problème est d'actualité aussi pour une enseignante d'Athènes de 48 ans qui a été diagnostiquée avec un cancer du sein en février.

Après qu'un médecin soit intervenu en sa faveur pour obtenir le prolongement de son assurance, elle a pu être opérée gratuitement et suit aujourd'hui un traitement de chimiothérapie. Elle ne sait pas cependant si elle pourra recevoir l'injection requise pour doper sa production de globules blancs parce que sa couverture arrive à échéance. La somme de 800 euros serait totalement hors de sa portée.

«Elle est très inquiète et très déprimée. Elle prend des antidépresseurs pour tenir le coup. En fait, elle est désespérée», confie sa soeur, Christina, qui a témoigné à la demande de l'enseignante, trop secouée pour parler.

Partout où l'on regarde dans le secteur de la santé grec, les besoins sont criants et les fonds manquent, forçant les acteurs du réseau à faire des choix déchirants.

Le secrétaire général de l'Association pharmaceutique grecque, Dimitrios Karageorgiou, note que ce n'est pas par gaieté de coeur que les pharmaciens se sont résignés à demander à être payer directement par leurs clients.

Le principal fonds d'assurance du pays doit près de 750 millions d'euros aux pharmacies, qui sont sous forte pression de leurs fournisseurs.

«Près de 2500 pharmacies sont menacées de fermeture. On a obtenu une entente pour que les fournisseurs ne prennent aucune action jusqu'aux élections mais après, on ne sait pas», confie l'administrateur.

Selon lui, le gouvernement a siphonné à la demande des créditeurs internationaux une partie de l'argent contenu dans le fonds. Et il n'a pas anticipé le fait que l'explosion du chômage, aujourd'hui à 22%, réduirait le nombre de cotisants, faisant fondre les revenus.

Des centaines de milliers de personnes privés d'emploi ont perdu leur couverture et doivent s'adresser à des établissements publics dans l'espoir de se voir prodiguer gratuitement des soins comme l'a fait Maria à l'hôpital Evangelismos.

Le directeur de l'établissement, Michail Theodorous, qui a vu le budget d'opération fondre de près de 30% en trois ans, assure que ces compressions ont été absorbées sans compromettre les services et qu'il peut libérer des fonds pour venir en aide aux personnes sans assurance. Mais sa foi dans les vertus supposément salvatrices de la «réingénierie» hospitalière trouve peu d'écho dans le réseau de la santé grec en cette période de crise.

Ionnais Baskozos, qui est vice-président de l'association médicale grecque, note que nombre de malades retardent leurs consultations faute d'argent au risque de compromettre leur santé.

La revue médicale The Lancet a relevé dans une récente étude que les efforts financiers imposés au pays obligeaient des personnes ordinaires à payer le «prix ultime» en perdant accès aux soins dont ils ont besoin, parfois au risque de leur vie.

Les signaux d'alarme émanant du secteur de la santé ne sont que l'une des expressions de l'ampleur de la catastrophe économique qui frappe la Grèce, où le PIB devrait encore reculer de plus de 5% en 2012.

Le secteur touristique, qui emploie près d'un travailleur actif sur cinq, pourrait subir des baisses de revenus de près de 15% pour cette période. Le ministère du Tourisme, soucieux de contrer la tendance, proposait hier une croisière gratuite aux journalistes étrangers présents dans le pays afin de mettre en valeur la qualité des infrastructures existantes.

Nombre d'analystes grecs estiment que les sévères mesures d'austérité exigées par les autorités européennes en contrepartie de plans d'aide de plus de 200 milliards d'euros étouffent l'économie et empêchent toute reprise.

Un avis partagé par Syriza, une coalition de gauche radicale qui promet de revoir ces mesures en cas de victoire lors des élections législatives prévues dimanche. Ses opposants conservateurs au sein de Nouvelle Démocratie pensent que le parti de gauche, en engageant une confrontation musclée avec les pays créditeurs, obligera ultimement la Grèce à quitter l'euro.

Ioannis Milios, un professeur d'économie qui est candidat pour Syriza, affirme que c'est une «équation insoluble» que de vouloir appliquer les mesures d'austérité et de payer les intérêts de la dette tout en cherchant à relancer l'économie.

Il ne croit pas que les autres pays de la zone euro vont prendre le risque de pousser la Grèce vers la sortie puisqu'une telle mesure risquerait de faire exploser les taux d'emprunt d'autres pays fragiles comme l'Espagne ou le Portugal. «On verrait des taux à deux chiffres», prévient M. Milios.

En prévision du jour du vote, les dirigeants européens multiplient néanmoins les mises en garde musclées envers la population grecque sur les risques d'une tentative de renégociation.

Le secrétaire général de l'association pharmaceutique du pays, Dimitrios Karageorgiou, pense que l'élection ne changera rien à la situation.

«Nous sommes dans l'enfer évoqué par Dante Alighieri. Et je ne vois pas de sortie», conclut-il.