Il fait froid. Un froid humide qui glace les os. Avec sa tuque marine enfoncée sur la tête, Mark S. a les doigts si engourdis qu'il a du mal à rouler sa cigarette.

Voilà quatre mois que ce Britannique de 45 ans campe sur le bas-côté de la cathédrale Saint-Paul. À la mi-février, ils ne sont plus qu'une centaine de membres d'Occupy London à tenir le coup. Non loin de sa tente, deux fillettes emmaillotées de lainages peignent à la gouache un tableau sur un chevalet, cependant que leur mère, enrhumée, tousse à en cracher ses poumons.

Mark refuse de partir. Il soupçonne qu'il sera évincé par les policiers de la City of London, ce gouvernement dans le gouvernement qui administre le «square mile», les 3 kilomètres carrés qui enceignent le coeur financier de Londres. De fait, il le sera quelques jours plus tard, lorsque Occupy London aura épuisé ses recours judiciaires.

Mais pour l'instant, pas question d'abdiquer. «Je n'ai plus rien à perdre», dit-il.

Durant la récession, sa banque a saisi le lave-auto qu'il exploitait depuis 15 ans. «Quand j'ai eu besoin d'aide, ma banque m'a laissé tomber, raconte Mark. Et là, le gouvernement a ruiné le pays pour secourir les banques. Je suis totalement révolté.»

Quelques heures plus tard, le hasard veut que je retrouve, à 100 mètres de là, quatre jeunes Québécois qui travaillent à la City. Rendez-vous a été fixé au Madison, un bar au sommet d'une tour neuve qui abrite l'un des restos à la mode de Jamie Oliver. Sa terrasse avec vue domine le célèbre dôme de la cathédrale Saint-Paul qui projette des reflets dorés sous son éclairage du soir.

Un à un, ils arrivent. Avec leurs costumes bien coupés, on pourrait croire que ce sont les nouveaux maîtres de l'univers décrits par Tom Wolfe dans Le bûcher des vanités. Mais ils s'empressent de corriger cette perception.

«J'en ai plein mon casque, du banker bashing», dit Martin en se jetant sur un canapé de cuir. Même s'ils boivent comme il se doit à Londres (ce qui signifie allègrement), ces Québécois consultent les prix sur le menu et se partagent la facture du repas.

«Il y a peut-être un millier de financiers qui sont ultra-riches, mais les autres, ils n'arrivent pas à s'offrir le plus petit des appartements à plusieurs stations de métro de la City», renchérit Maxime.

Ne me demandez pas leurs vrais noms, leur firme leur interdit de parler à des journalistes. Aucun professionnel qui travaille à Londres avec un visa n'ose enfreindre cette consigne de peur de perdre son travail et d'être renvoyé du pays. Alors que des institutions financières coupent dans le vif de leurs effectifs à Londres, tous marchent les fesses serrées.

La finance britannique a perdu près de 90 000 emplois entre 2009 et 2011. Et selon un sondage récent mené par la Confederation of British Industry et PricewaterhouseCoopers, ce n'est pas terminé. Les institutions financières sondées prévoyaient mettre à pied 11 000 professionnels de plus au cours des trois premiers mois de 2012.

Les perspectives d'emploi sont particulièrement sombres chez les banques d'affaires, qui ont connu un net recul de leurs activités. En janvier, Royal Bank of Scotland (RBS) a aboli 3500 emplois dans ce créneau, ce qui porte à 5000 le nombre de postes supprimés uniquement depuis l'été dernier. Cela représente le quart de son effectif de 18 900 salariés de la fin septembre.

Mélanie, 24 ans, se considère comme chanceuse. Après avoir obtenu une maîtrise en finances à la London School of Economics en 2011, elle a décroché un poste d'analyste auprès d'une grande firme de courtage américaine. Pour l'obtenir, elle a postulé auprès de 25 entreprises, mais seulement 3 de celles-ci l'ont invitée en entrevue.

«Dans ma promotion, il y en a plusieurs qui cherchent encore du boulot, raconte-t-elle. Certains se sont résignés à accepter un stage.»

Son salaire ne casse rien, juge-t-elle. Surtout à Londres, où le coût de la vie est très élevé. Les deux tiers de son chèque de paye sont consacrés à son logement et aux frais afférents, un quatre et demi qu'elle partage avec une coloc. Son budget est si serré que ses parents l'aident encore à l'occasion. «Mes copines de Montréal avec des études équivalentes sont déjà propriétaires de leur condo», dit-elle.

Mélanie ne s'en plaint pas. Elle adore son boulot, elle adore Londres. Mais elle sait que lorsqu'elle s'engouffre dans le métro à la station Moorgate avec ses talons hauts, son tailleur cintré et son sac griffé, certains la considèrent comme une banquière fortunée.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca

LA FINANCE BRITANNIQUE EN BREF:

C'est 10%
du produit intérieur brut (2010)

C'est 36,7% des transactions internationales sur les devises (2010)

C'est 19% du volume mondial de négociation des actions

C'est 241 banques étrangères qui ont pignon sur rue à Londres

C'est 1,1 million de travailleurs, soit 3,9% de la main-d'oeuvre du pays

À Londres, ils se concentrent dans les quartiers de la City (centre) et de Canary Wharf (à l'est).

Principaux employeurs:

banques, assureurs, courtiers, gestionnaires de fonds.

Principales banques, selon l'actif:

HSBC, Barclays, Royal Bank of Scotland, Lloyds Banking Group.

Source: City of London Corporation; Banque des règlements internationaux.