La décision a été rapide. Et sans appel. En 2008, le Rwanda, un pays de tradition francophone, a décidé du jour au lendemain de remplacer le français par l'anglais comme langue d'enseignement, de la petite école jusqu'à l'université.

«Quand vous utilisez la méthode douce, ça prend du temps, mais quand vous utilisez la méthode radicale, ça va très vite», tranche Mathias Harebamungu, secrétaire d'État chargé de l'enseignement primaire et secondaire, qui passe constamment du français à l'anglais pendant sa rencontre avec LPA Magazine.



>> Voyez notre galerie photos sur le Rwanda

Le Rwanda a d'abord pris cette décision dans le but d'accélérer son intégration à la Communauté est-africaine, qui regroupe notamment l'Ouganda et le Kenya, deux pays anglophones. Une question commerciale, en somme.

«On planifie en pensant à l'avenir, pas au passé, dit M. Harebamungu. C'est une question de globalité. Le choix est économique, ça se marie avec la mondialisation.»

Ce changement brutal, dans un pays où une bonne partie des professeurs ne connaissaient pas l'anglais, ne s'est pas fait sans peine. Les enseignants ont dû se mettre à l'apprentissage accéléré de la langue de Bill Gates, et certains ont été exclus.

«On n'a pas licencié: on a demandé à ceux qui avaient des faiblesses de se mettre à l'anglais, explique Paul Mbaraga, professeur de journalisme à l'Université nationale du Rwanda. Mais il y en a qui n'ont pas voulu, il y en a qui sont partis...»

Selon M. Mbaraga, le gouvernement de Paul Kagame a fait une sorte de forcing en douceur envers ses dizaines de milliers d'enseignants «C'est une conversion forcée, mais pas avec le bâton. J'ai fait beaucoup de progrès depuis qu'on m'a forcé à apprendre l'anglais. Mais je serais contre des pertes d'emplois.»

L'enseignant, qui pratique le journalisme depuis 1976, reconnaît qu'aucun éditorial n'a été publié au sujet de ce passage forcé à l'anglais dans les journaux du pays. Le Rwanda est dénoncé par Reporters sans frontières pour sa faible liberté de la presse.

Réconciliation

Davis Wamoni, enseignant d'origine ougandaise - et anglophone - au Kagarama Secondary School, se montre pour sa part très favorable au changement de la langue d'enseignement. Une transition qui, selon lui, permettra d'apaiser les divisions enracinées depuis des décennies au Rwanda, et qui ont culminé par l'atroce génocide de 1994. «Adopter un même langage, ça aide à long terme le processus de réconciliation», avance-t-il.

Une analyse qui trouve écho chez le secrétaire d'État à l'éducation. «Notre identité est d'être rwandais, et les Rwandais doivent définir leur avenir, c'est tout.»

Le Rwanda, ancienne colonie belge où la plupart des commerces affichent en français et où la majorité de la population s'exprime en kinyarwanda, a rejoint le Commonwealth en 2009. Certains voient le changement de la langue d'enseignement comme un moyen de mieux s'intégrer à ce regroupement d'ex-colonies britanniques.