Elles sont tombées amoureuses du Rwanda. L'une aide les veuves du génocide, l'autre participe à plein à la renaissance économique du pays. Rencontre avec Hélène Cyr et Nicole Pageau, deux Québécoises qui font bouger les choses.

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Hélène Cyr nous fait visiter le campus de sa nouvelle école des métiers, qui s'étend sur 3 hectares d'anciennes bananeraies à Kayonza, dans la campagne rwandaise. Les salles de classe, rustiques mais impeccablement propres, ont accueilli leurs 350 premiers élèves en janvier 2011.

Avec son partenaire rwandais, la Québécoise a investi quelques centaines de milliers de dollars pour bâtir cet institut, qui enseigne aux jeunes les rouages de l'hôtellerie, du tourisme, de la menuiserie et de la couture. Un investissement inattendu pour cette ancienne cadre senior de Bombardier et CAE, qui a tout plaqué en 2009 pour prendre un congé sabbatique.

«Ce n'était pas prévu. Je prenais deux ans de sabbatique, je ne pensais jamais faire une école!» dit en riant Hélène Cyr pendant la visite de La Presse Affaires en novembre dernier.

À l'origine, Hélène Cyr a choisi de visiter le Rwanda pour donner un coup de main à une compatriote, Nicole Pageau. Cette femme, que plusieurs ici surnomment «maman Nicole», a fondé un centre d'aide pour les veuves du génocide à Kigali. Son travail remarquable lui a valu d'être nommée l'une des personnalités de l'année au Gala d'excellence 2010 La Presse-Radio-Canada.

Les deux femmes se sont liées d'amitié, puis Hélène Cyr a choisi de puiser directement dans son bagage professionnel - les affaires - pour aider le Rwanda à sa manière. C'est en épaulant de jeunes entrepreneurs locaux qu'elle a rencontré le cofondateur de son école des métiers, Shaban Ziwa

«Pendant 3 mois, j'ai aidé Shaban à monter son plan d'affaires, mais je n'avais aucune idée que j'allais investir là-dedans», raconte-t-elle.

Les deux associés ont commencé à bâtir l'institut en mars 2010, et ils ont accueilli leurs premiers jeunes six mois plus tard. Déjà, l'école a été agrandie et a maintenant la capacité d'accueillir 550 étudiants et pensionnaires. Environ 30 % d'entre eux sont parrainés pour payer leurs frais de scolarité, de nourriture et de logement de 500 $ par année.

Boom économique

Hélène Cyr se réjouit du taux de placement élevé des étudiants de la première cohorte, dont les trois quarts ont trouvé un emploi au terme de leur année de formation.

Il faut dire que le Rwanda connaît depuis plusieurs années un taux de croissance élevée (8,2 % en 2011), alimenté notamment par le tourisme. Et les formations professionnelles comme celles offertes à l'institut d'hôtellerie sont rares. Autant de conditions qui favorisent un placement facile des jeunes diplômés.

En parallèle, la Québécoise continue d'épauler une demi-douzaine de petits entrepreneurs qui démarrent leurs PME. Pendant notre visite, l'un d'entre eux est arrêté la voir pour obtenir des conseils afin d'échafauder le plan d'affaires... d'un poulailler! Coût d'achat des poussins, antibiotiques, nourriture: chaque détail a été passé en revue.

«Je les aide à partir leurs rêves, dit-elle. Lui, avec 100 poules, il voit grand. Pour lui, c'est juste un début.»

Depuis l'été dernier, Mme Cyr occupe également un nouveau rôle de premier plan dans l'essor économique du pays. Elle est devenue conseillère en développement organisationnel pour l'équipe de direction du Rwanda Development Board (RDB), l'organisme gouvernemental chargé d'attirer des investissements au pays des mille collines.

Pour affronter ce nouveau défi, l'ancienne vice-présidente de CAE et Bombardier a ressorti ses tailleurs «qui accumulaient la poussière depuis 3 ans», dit-elle. Son poste au RDB l'occupe «à temps plein et même plus», puisque l'agence est en train de devenir un moteur important de la nouvelle économie rwandaise.

Le RDB répond directement du président rwandais et joue un rôle de premier plan. «Aider des jeunes à améliorer leur vie, c'est une chose, mais aider le pays à devenir autonome économiquement, c'est autre chose», dit Hélène Cyr.

Les investissements directs ont bondi de 118 millions US en 2009 à 372 millions l'an dernier au Rwanda, en partie grâce au travail de promotion du RDB et à l'assainissement des politiques publiques.

Le génocide moins vendeur

Nicole Pageau, installée au Rwanda depuis 2004, s'émerveille elle aussi des changements rapides observés au Rwanda. Les chantiers de construction sont nombreux et les conditions de vie s'améliorent à bon rythme, même si la pauvreté demeure un grave problème pour une bonne partie de la population.

«C'est incroyable, c'est le phénix qui renait de ses cendres à une vitesse incroyable, dit-elle. C'est épatant.»

Si Nicole Pageau s'émerveille des développements récents du Rwanda, elle côtoie aussi ses fantômes au quotidien. Le Centre César, qu'elle a fondé à Kigali grâce à l'aide de donateurs, constitue un lieu de rencontre et de travail pour des dizaines de veuves du génocide, leurs enfants et leurs petits-enfants.

Le centre communautaire, niché dans une colline verdoyante, permet aux femmes de faire des travaux d'artisanat et d'engranger quelques francs rwandais grâce à la revente des objets qu'elles fabriquent. On y offre aussi divers services, comme des consultations médicales et une garderie.

Or, le génocide - qui a causé la mort de plus de 800 000 Rwandais en 1994 - semble de plus en plus loin dans l'esprit des donateurs. L'argent se fait rare.

Nicole Pageau avait l'habitude de revenir deux fois par année au Canada pour mener des campagnes de financement. Ce qu'elle n'a pu faire en 2011, faute de fonds.

«L'année passée, ça a été catastrophique, et cette année, je n'ai même pas d'argent pour acheter un billet d'avion», déplore-t-elle.

La sexagénaire, qui a adopté un Rwandais - Rodrigue - aujourd'hui dans la jeune vingtaine, qualifie les problèmes financiers du Centre César de «cruciaux». L'organisme a dû réduire la prestation de certains services, comme la visite du médecin qui se fait de plus en plus rare.

Quoi qu'il en soit, Nicole Pageau reste sereine et entend rester au Rwanda pour de bon.

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On peut obtenir plus d'informations sur le Centre César ici: https://www.ubuntuedmonton.org/fr/main.php

Et sur les activités d'Hélène Cyr ici: https://mentoringafrica.org/

Lire aussi notre dossier spécial sur le Rwanda, publié aujourd'hui, lundi 12 mars, dans La Presse Affaires Magazine.