Après Occupons Wall Street, Changeons Wall Street? Le Québec Inc. a plusieurs idées pour réformer le milieu financier. Louis Vachon veut limiter les contributions politiques des entreprises, Bernard Landry une taxe internationale sur les transactions financières, Richard Guay des bonis plafonnés, Yvon Charest des nouvelles règles comptables d'inspiration canadienne, Monique Jérôme-Forget une réglementation plus sévère à l'égard des produits dérivés. À l'invitation de La Presse, dix gens d'affaires donnent leurs solutions pour changer Wall Street.

> Limiter les contributions politiques des entreprises aux États-Unis

Louis Vachon, président et chef de la direction de la Banque Nationale

Aux États-Unis, les entreprises ne peuvent pas contribuer directement aux campagnes des politiciens mais elles peuvent garnir les caisses des comités d'action politiques qui distribuent ensuite l'argent aux candidats. Louis Vachon veut mettre fin à cette pratique qui affaiblit la démocratie américaine et le pouvoir des autorités réglementaires à Wall Street. « Quand tu peux influencer le processus par le politique, ton système réglementaire est affaibli. Quand il y a une mésentente aux États-Unis, les firmes de Wall Street s'engagent des lobbyistes. Au Canada, le système bancaire n'est pas parfait, mais il force la discussion entre les agences réglementaires et les banques. Tu ne verras jamais de banques parler aux députés à Ottawa», dit Louis Vachon, qui a vécu six ans aux États-Unis durant ses études universitaires. Il ne va toutefois pas jusqu'à interdire les dons politiques des entreprises. « Toute institution a le droit de participer au processus politique, mais si tu ne mets pas de limites et qu'une compagnie donne 100 millions de dollars, tu as un problème. » Il admet toutefois que sa solution est difficilement réaliste à court terme « étant donné la façon dont Washington carbure au cash ».

> Imposer la taxe Tobin

Bernard Landry, ex-premier ministre du Québec et professeur à l'UQAM

Bernard Landry est favorable à la création d'une taxe Tobin sur les transactions financières, préconisée par plusieurs pays en Europe mais à laquelle s'opposent les États-Unis et le Canada. « J'espère qu'elle va finir par triompher », dit-il. D'abord parce qu'elle fournirait des revenus à des gouvernements qui en ont bien besoin, mais aussi parce qu'elle permettrait aux autorités de surveiller davantage les transactions. « Ça va rendre toute l'aventure financière plus transparente. Il y aurait une agence internationale comme la Banque mondiale, qui surveillerait les transactions avec les autorités réglementaires internes (comme l'AMF au Québec) », dit-il. L'ex-premier ministre du Québec suggère aussi par la même occasion de faire examiner les produits financiers au préalable, au même titre que les médicaments, « qui doivent être approuvés avant d'être mis sur le marché au cas où ils seraient pervers ». Une telle mesure aurait permis d'éviter la crise du papier commercial, à la Caisse de dépôt et placement du Québec comme ailleurs. « Quand il y aurait une nouvelle titrisation, les autorités seraient au courant de ses caractéristiques et pourraient déceler les produits toxiques comme les hypothèques à risque dans le papier commercial », dit-il.

> Des autorités réglementaires plus fortes

Réjean Robitaille, président et chef de la direction de la Banque Laurentienne

En théorie, la réglementation bancaire est suffisante aux États-Unis selon Réjean Robitaille. En pratique, le grand patron de la Banque Laurentienne aimerait des autorités réglementaires qui interviennent davantage. « C'est comme installer des limites de vitesse à 100 km/h mais sans policiers ni photo-radars. Aux États-Unis, Lehman Brothers et Bear Sterns étaient des firmes réglementées mais pas bien supervisées », dit celui qui aimerait aussi voir davantage de retenue à Wall Street dans la gestion des affaires comme dans la rémunération. « Certaines institutions ont oublié la raison principale pour laquelle on est en affaires : servir le client. À La Banque Laurentienne, il n'y a plus d'options d'achat d'actions pour les dirigeants et les bonis sont basés à 50% sur le cours futur de l'action. C'est simplement de la bonne gouvernance. »

> Limiter l'exposition au risque des fonds de couverture

Jean-Martin Aussant, député indépendant de Nicolet-Yamaska, chef d'Option nationale et ancien vice-président de Morgan Stanley à Londres

Jean-Martin Aussant croit que les fonds de couverture (les « hedge funds ») doivent fournir un prospectus et des états financiers aux autorités réglementaires et aux investisseurs. En clair, faire exactement comme les fonds communs de placement. « Il y a un énorme secret qui entoure les hedge funds, dit-il. Ils reçoivent de l'argent de ceux qui en ont énormément et qui s'en foutent un peu s'ils le perdent. Il n'y a pas lieu de créer une classe spéciale de fonds pour les ces gens-là. Les gestionnaires prennent alors des risques énormes. S'il y avait plus de la transparence et que les clients voyaient ça, il y aurait moins de leviers exagérés.» Mais ce n'est pas tout d'être transparent : les autorités réglementaires doivent limiter le risque pris par les fonds de couverture. « Un milliardaire n'a pas la même notion d'aversion au risque qu'un fonds de travailleurs, dit-il. Les milliardaires ont le droit de s'amuser avec leur argent, mais tous les investisseurs en subissent les conséquences. » Comme toute nouvelle réglementation, elle devra être appliquée simultanément par les grands pays du monde. « Si un courtier ne peut pas faire une transaction à Londres, sa filiale de New York va la faire à sa place», dit-il.

> Des bonis plafonnés et selon les résultats à long terme

Richard Guay, ex-président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec et professeur à l'UQAM

Les grands patrons de Wall Street sont-ils trop payés? Leur chèque de paie est surtout mal calculé, selon Richard Guay, qui propose de donner les bonis en fonction des résultats de l'entreprise sur un horizon de cinq ans. « Il est futile de payer des bonis élevés lors d'une année rentable s'il y a des pertes aussi importantes l'année suivante », dit-il. Richard Guay propose de verser immédiatement la moitié du boni et l'autre moitié seulement après les résultats futurs de l'entreprise. Si l'action chute, le boni aussi. La rémunération des dirigeants devrait aussi être plafonnée en fonction d'un multiple du salaire moyen de ses employés - par exemple 100 fois le salaire moyen. « Plusieurs dirigeants gagnent au-delà de ce seuil et je ne crois pas que ce soit justifié », dit-il. Richard Guay croit que les actionnaires ont beaucoup de travail à faire pour mettre Wall Street au pas en matière de rémunération. « Dans la majorité des cas, les actionnaires ont relativement peu de pouvoirs et ne sont pas bien conscients de ce qu'ils votent », dit-il.

> Que les États-Unis s'inspirent des règles comptables canadiennes

Yvon Charest, président et chef de la direction de L'Industrielle Alliance

La perspective d'une récession fait davantage mal aux états financiers d'une entreprise canadienne que d'une entreprise américaine. Et c'est parfait ainsi selon Yvon Charest. « Les normes comptables canadiennes sont plus sévères quand l'économie va mal, dit-il. Il faut alors corriger tout notre bilan comme si cette nouvelle situation économique allait s'appliquer à vie. » Difficile de réglementer l'optimisme dans les marchés financiers, mais en utilisant des normes comptables plus sévères, les États-Unis éviteraient de mauvaises suprises à certaines entreprises. « Quand la réalité t'arrive en pleine face et que ta comptabilité n'est pas conservatrice, le niveau d'urgence est plus grand », dit-il. En 2015, le Canada doit passer à des nouvelles normes internationales. Des normes trop sévères selon Yvon Charest, qui préférerait garder l'esprit derrière les normes canadiennes actuellement. Par surcroît, le pays abritant Wall Street n'a pas encore décidé s'il adopterait les nouvelles normes internationales. « Ça pourrait se terminer comme pour le système métrique », prévient Yvon Charest.

> Encadrer les agences de notation

Jonathan Tétrault, associé montréalais de la firme de consultation McKinsey & Company

Les agences de notation ont beau tenir les finances publiques de plusieurs pays entre leurs mains, elles ne rendent de comptes à personne sauf à leurs clients. Une absence de supervision qui inquiète Jonathan Tétrault. « Personne ne s'assure que leur méthodologie de calculs est appropriée, dit-il. Leurs modèles de calculs pour évaluer la cote de crédit devraient au moins être revus et calibrés par un organisme indépendant comme la SEC aux États-Unis. Comment expliquer que l'industrie au complet s'est trompée sur les hypothèques à risque? Leurs activités sont trop structurantes pour être laissées à elles-mêmes. On a vu ce qui est arrivé récemment avec Standard and Poor's et la cote de la France.» En plus d'encadrer les agences de notation, préférablement par le biais de la SEC, il faut changer leur mode de rémunération. Présentement, ce sont leurs clients, les émetteurs de produits financiers, qui paient leurs services. « Les agences sont en conflit d'intérêts », dit-il.

> Traiter les produits dérivés comme des titres boursiers

Monique Jérôme-Forget, ex-ministre québécoise des Finances et conseillère spéciale au bureau d'avocats Osler

Quand elle parle de produits dérivés, Monique Jérôme-Forget aime bien citer Warren Buffett. « Ce sont des armes de destruction massive », disait l'Oracle d'Omaha. La dame de fer des finances publiques québécoises croit que Wall Street doit être aussi transparente à l'égard des produits dérivés qu'à l'égard d'actions cotées en Bourse. « Il faut savoir ce que ces produits dérivés contiennent, dit-elle. Actuellement, c'est du gros argent opaque. On ne connaît même pas l'autre partie à une transaction. Il y a des banques qui ont des trillions de dérivés. C'est un gros problème et ce n'est pas terminé. Mais plus le système est opaque, plus Wall Street peut faire des profits. » Certains pays européens ont déjà commencé à se montrer plus sévères à l'égard des produits dérivés. L'administration Obama a resserré les règles, mais pas assez au goût de l'ancienne ministre du gouvernement Charest. « Les banques ont fait pression pour ne pas aller dans cette direction. Le secrétaire au Trésor Tim Geithner vient de ce milieu-là (Wall Street), il était très à l'écoute. Il y a un cordon ombilical qui résiste à toute tentative d'amener de l'ordre dans ce secteur-là », dit-elle.

> Des résultats financiers annuels plutôt que trimestriels

Michael Sabia, président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec

Finis les résultats financiers aux trois mois. Michael Sabia croit que les entreprises inscrites en Bourse auraient une meilleure philosophie de gestion, orientée davantage à long terme, si elles pouvaient divulguer leurs résultats financiers seulement une fois par année. «En matière de reddition de comptes, je suis convaincu que les rapports trimestriels encouragent une culture de court terme», a-t-il expliqué par écrit. Il s'agit de la première fois que la Caisse prend position publiquement en faveur d'états financiers annuels au lieu de trimestriels. «Une reddition de comptes annuelle favoriserait davantage la performance à long terme des sociétés et cela contribuerait à un changement en profondeur de Wall Street», dit Michael Sabia, qui a été entre 2002 et 2008 président et chef de la direction de Bell, une société inscrite en Bourse. Le grand patron de la Caisse privilégie une approche d'investissement à long terme, autant pour l'horizon de placement que la reddition de comptes. «En 50 ans, l'horizon de placement est passé de 7-8 ans à moins de 1 an, explique-t-il. Si la tendance se maintient, se rendra-t-on à quelques mois seulement? Ce serait certainement rentable pour Wall Street, mais pour les sociétés et les investisseurs, cela encouragerait des comportements de plus en plus imprévisibles. Il faut plutôt réorienter les choses en fonction de perspectives à plus long terme.»

> Penser davantageaux coopératives dansles accords internationaux

Monique Leroux, présidente et chef de la direction du Mouvement Desjardins 

Monique Leroux aimerait avoir une meilleure écoute des autorités internationales, et des textes juridiques plus adaptés à la structure des coopératives. « La réglementation actuelle, particulièrement dans le milieu financier, est pensée et créée par des gens qui proviennent du milieu corporatif, dit-elle. En Europe, on dirait que les principaux intervenants sont tous des anciens de Goldman Sachs! Leur référence est un modèle corporatif. Il faut que les régulateurs connaissent mieux les particularités du mouvement coopératif. Les réflexes ne sont pas là et les textes juridiques ne reflètent pas nos structures de capital. Mais on a maintenant une portée où on s'est permis d'écrire directement au comité de Bâle pour faire valoir nos arguments sur certains points. » Monique Leroux se dit encouragée par l'essor du mouvement coopératif à l'échelle internationale. « Aux États-Unis, de plus en plus de clients vont vers les credit unions et l'ONU a décrété 2012 comme l'année des coopératives», dit-elle.