La Commission européenne s'apprête à proposer de durcir encore les règles de fonctionnement des agences de notation avec notamment la possibilité de poursuite civiles en justice, dans un climat tendu par la crise de la dette et l'erreur qualifiée de «grave» de Standard & Poor's sur la France.

«Cet incident est grave», a estimé vendredi le commissaire européen aux marchés financiers, Michel Barnier, à propos de la bourde de S&P, en appelant les agences à faire preuve «d'une rigueur et d'un sens particulier de la responsabilité»

Il a invité l'ESMA, l'autorité européenne de surveillance des agences de notation, en coordination avec l'Autorité française des marchés financiers (AMF), à «tirer les conséquences» de cet incident.

L'incroyable bourde de l'agence de notation Standard & Poor's, annonçant jeudi par erreur en pleine crise de la dette que la France avait perdu son précieux «triple A», a déjà suscité jeudi la colère de Paris et l'ouverture d'une enquête du gendarme français des marchés.

Les agences Standard & Poor's, Moody's et Fitch, dont les évaluations des États, des produits financiers et des entreprises font la pluie et le beau temps sur les marchés, sont depuis longtemps critiquées.

Elles se voient régulièrement accusées de ne pas avoir fait leur travail de vigie lors de la crise financière des prêts hypothécaires à haut risque partie des États-Unis en 2007, ou aujourd'hui d'attiser la crise de la dette en dégradant la note de certains pays sans toujours fournir de justifications convaincantes.

Dans l'UE, la réglementation des agences de notation a déjà été durcie, avec la création cette année de l'ESMA, des obligations d'enregistrement strictes, une transparence accrue de leur travail et des sanctions en cas de violation très grave de la législation.

Théoriquement, dans pareil cas, l'ESMA peut aller jusqu'à retirer sa licence à une agence, à saisir une juridiction pénale ou à lui infliger une amende allant jusqu'à 20% de ses revenus annuels.

M. Barnier veut aller cette fois plus loin et, hasard de calendrier, présentera des propositions sur le sujet mardi. Il entend «créer un cadre européen de responsabilité civile en cas de faute caractérisée ou de négligence grave».

Cela pourrait permettre un jour à un pays comme la France, ou à un investisseur lésé, de se tourner directement vers les tribunaux pour réclamer des dommages et intérêts au sujet d'un incident comme celui qui s'est produit jeudi avec S&P.

Bruxelles entend aussi «réduire la dépendance» des États et des entreprises à l'égard de ces agences, en demandant par exemple aux banques de faire davantage d'évaluations en interne sans se tourner systématiquement vers ces agences, et surtout en imposant un système «de rotation», selon une source proche du dossier.

Les États ne devraient pas se contenter d'un contrat d'évaluation avec une seule agence, mais en utiliser alternativement plusieurs.

La Commission ambitionne aussi d'augmenter la rigueur de la notation des États et «d'éliminer les conflits d'intérêt» dans un système où aujourd'hui l'État ou l'entreprise évaluée paie pour le service rendu. Et où une agence peut à la fois évaluer par exemple la note de solvabilité d'une banque et dans le même temps attribuer une note à l'un des produits financiers.

Dernier point: comment s'attaquer à l'oligopole de Standard & Poor's, Moody's et Fitch? Bruxelles a renoncé à l'idée d'une agence européenne publique concurrente. «Il faudrait qu'elle soit crédible pour les marchés et cette condition n'existe pas aujourd'hui», a justifié la porte-parole de M. Barnier, Chantal Hugues.

En revanche, selon la source proche du dossier, la Commission pourrait à l'avenir publier un indice de notation très large compilant par exemple sur un pays donné les évaluations de toutes les agences existantes, y compris les petites ou celles qui tentent de s'implanter.