Ancien conseiller du président français François Mitterrand et ex-président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, Jacques Attali est un omnipenseur à qui on doit une cinquantaine d'ouvrages sur une multitude de sujets. Nous avons profité de son passage éclair à Québec, mercredi dernier, pour l'interviewer. Entretien sur sa spécialité, l'économie.    

Q: Estimez-vous que le mouvement Occupy Wall Street est légitime?

R: Par définition, un mouvement révolutionnaire, un mouvement hors de la représentation parlementaire, n'est pas légitime, et c'est ce qui en fait la grandeur. Il correspond à une véritable indignation contre le scandale que représente l'accaparement de la fortune par les plus riches aux États-Unis depuis 30 ans. Les statistiques démontrent que jamais la société n'a été aussi polarisée.

Q: Cette «révolution» changera-t-elle ce qu'elle dénonce?

R: Non. Je pense que la société américaine est trop lourde, diffuse et complexe pour pouvoir bouger. On ne sait pas ce qu'un tel mouvement peut entraîner, sinon la prise de conscience qu'un grand désespoir existe.

Q: Quelles devraient être les demandes des manifestants?

R: Premièrement, une hausse très forte des impôts des riches. Deuxièmement, une interdiction de la spéculation à nu, celle qui n'est qu'un pari, sans lien avec des opérations de marchandises. Et troisièmement, la mise en oeuvre efficace des règles de séparation des différents métiers de la finance.

Q: Existe-t-il une volonté politique pour cela aux États-Unis ou dans les autres grandes puissances économiques?

R: Non, non. On n'est pas à la nuit du 4 août [1789, moment fondateur de la Révolution française qui met fin aux privilèges]. Ça ne peut arriver que par une volonté hostile. Les gens ne vont pas abandonner leurs privilèges.

Q: Pour décrire l'économie qui se mondialise, vous avez déjà utilisé l'image suivante: nous roulons à grande vitesse dans un même autobus. Cet autobus se dirige-t-il vers un précipice?

R: Il est sur une autoroute qui mène tout droit vers une très grande croissance. Mais à gauche comme à droite, il y a des précipices. S'il n'y a pas de conducteur dans l'autobus ou s'il est mal conduit, il risque de tomber dans le ravin.

Q: Selon vous, l'euro survivra-t-il?

R: Il n'est pas en danger pour l'instant. C'est une monnaie très forte, alors que le dollar américain est très faible. L'Europe a une balance des paiements excédentaire. Et surtout, l'Union européenne et la zone euro n'ont pas de dette. Elle a beaucoup de moyens pour régler ses problèmes. On prend seulement conscience que c'est plus difficile à faire à 17 qu'à 3 ou 4.

Q: Les solutions avancées par la France et l'Allemagne sont-elles positives?

R: Je le pense, mais il faudrait aller beaucoup plus loin. Il faut un gouvernement fédéral avec des émissions d'euro-obligations et une fiscalité véritablement globale. Il faut une fiscalité européenne avec un ministre des Finances responsable de la gérer. La fédération devrait contrôler les déficits des membres.

Q: Qu'est-ce qui vous effraie le plus dans la situation économique actuelle? Est-ce l'endettement de certains pays?

R: Non, c'est l'écart entre les riches et les pauvres. C'est extrêmement grave. On crée les conditions pour la violence. Jamais la richesse n'a été aussi concentrée. Il y a deux milliards et demi de personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté, ce dont je m'occupe d'ailleurs avec PlaNet Finance.

Q: Quel sera le sujet de votre prochain livre?

R: Je travaille sur une histoire du concept de consolation, sur ce que c'est que de consoler les gens, et pourquoi on le fait.

Q: Pouvez-vous nous en dire quelques mots?

R: Non. Vous verrez cela en février.