L'État français, qui cherche des moyens d'accroître le pouvoir d'achat de la population, entend intervenir dans la manière dont les grandes entreprises distribuent leurs profits.

Lors d'un déplacement dans les Ardennes, le président du pays, Nicolas Sarkozy, a confirmé hier le dépôt prochain d'un projet de loi contraignant les firmes qui augmentent «fortement» les dividendes aux actionnaires à verser une prime à leurs employés. «Quand il y a la reprise, j'affirme qu'il est normal que les salariés et les ouvriers à qui on a demandé des efforts pendant la crise bénéficient de la reprise, c'est un principe sur lequel je ne céderai pas», a déclaré le politicien, relevant qu'il s'agit d'une «question de justice».

Il a précisé que les petites entreprises seraient aussi incitées à verser des primes grâce à une exonération de cotisations.

Le projet, dont les dispositions exactes doivent être précisées dans les prochains jours, a une portée sensiblement plus limitée que celui qui avait été évoqué la semaine dernière par le ministre du Budget, François Baroin.

Ce dernier avait annoncé que la prime à verser devrait être «d'au moins 1000 euros (1370$CAN)» et s'appliquer à l'ensemble des entreprises versant des dividendes.

La ministre de l'Économie, Christine Lagarde, a ensuite déclaré lundi qu'il était «très important (...) que les montants, les modalités, la façon dont tout ça s'organise» soit négocié entre patrons et syndicats et non pas imposé de l'extérieur.

Selon le quotidien Le Monde, moins de 10% de la population active française serait susceptible de recevoir une prime en fonction des détails annoncés par le gouvernement à ce jour.

Il ne s'agit pas de la première fois que l'État projette d'intervenir dans ce domaine. En 2009, Nicolas Sarkozy avait souhaité publiquement que les entreprises distribuent les profits après impôts sur la base de la «règle des trois tiers», le premier allant aux salariés, le second aux actionnaires et le troisième à l'investissement. Le politicien avait promis que l'État «prendrait ses responsabilités» si patrons et syndicats peinaient à s'entendre, mais l'annonce était restée sans suite.

Le projet de loi sur les primes a suscité une véritable levée de boucliers du côté des employeurs. Le MEDEF, principale organisation patronale du pays, a déclaré la semaine dernière qu'il s'agissait d'une mesure «incompréhensible et dangereuse» pour l'emploi. Elle s'est ensuite dite «rassurée» par le caractère éventuellement optionnel de la prime en question.

Les principaux syndicats du pays ont aussi accueilli l'annonce du gouvernement avec de fortes réserves.

La secrétaire nationale de la CFDT, Laurence Laigo, estime que le projet de versement de primes «n'est pas une réponse aux attentes des salariés en matière de pouvoir d'achat», notamment parce qu'il ne devrait toucher qu'une partie d'entre eux.

«Les salariés sont payés pour leur travail et pas seulement lorsqu'il y a distribution de dividendes. C'est bien les salaires qu'il faut augmenter et non pas les primes», fait valoir de son côté la CGT, qui plaide notamment pour une revalorisation du salaire minimum.

Mathieu Plane, analyste à l'Observatoire français des conjonctures économiques, pense que la mesure annoncée est une «fausse bonne idée» pour les salariés. «S'il y a une hausse des primes, ce sera pris en compte par les entreprises lors des négociations salariales», prévient M. Plane, qui presse le gouvernement de mettre l'accent sur la création d'emplois plutôt que sur la rémunération.

Le président français avait créé de fortes attentes en 2007 en annonçant son intention de hausser le pouvoir d'achat, mais la crise économique subséquente a miné son action dans le domaine. De fait, le pouvoir d'achat stagne depuis trois ans, explique l'analyste.

«Comme les marges de manoeuvre (financières) sont très réduites, on se contente aujourd'hui de faire du bricolage», dit-il.

L'annonce du projet de loi sur les primes survient alors que le gouvernement confirme son intention de geler les salaires des fonctionnaires pour 2012, une mesure dénoncée hier par les syndicats.