Est-ce que la révolution dans les pays arabes aurait été possible sans la contribution de l'internet et des médias sociaux Twitter et Facebook? Le débat qui divise la blogosphère depuis plusieurs semaines déjà risque de durer encore longtemps.

D'un côté, il est séduisant de croire que l'internet est l'outil de démocratisation qui permettra au monde de se débarrasser des dictateurs et qu'il a donné les moyens aux Tunisiens et aux Égyptiens de se débarrasser de leurs régimes corrompus à l'os.

Les deux régimes sont tombés avec une rapidité stupéfiante, ce qui donne du poids à l'argument. L'internet, qui permet une transmission instantanée de l'information, a joué sans l'ombre d'un doute un rôle important dans l'unification et la coordination des insurgés tunisiens et égyptiens.

Mais penser que, sans Twitter ou Facebook, les régimes de Tunis et du Caire seraient encore en place pousse peut-être un peu loin les vertus de la technologie.

Une technologie ne peut pas faire la révolution à la place de la population, croit l'auteur Evgeny Morozov, qui a été obligé de défendre ses livres sur l'exagération des vertus du web (1) dans le Financial Times.

Sa thèse, qui a suscité le courroux de beaucoup de disciples de l'internet, est simple. Si Facebook et Twitter ont déjoué le contrôle et la censure imposés aux populations tunisienne et égyptienne, ce n'est pas parce que l'internet est le meilleur outil de démocratisation qui ait jamais existé, mais plutôt parce que les gouvernements de ces deux pays n'ont pas été capables de se servir de cet outil pour contrer l'opposition. Bref, que Ben Ali et Moubarak sont des technotwits alors que la jeunesse de leurs pays, au contraire, sait se servir de la technologie.

Selon Evgeny Morozov, l'internet, Facebook et Twitter sont des outils puissants qui peuvent tout aussi bien servir aux dictateurs à contrôler davantage leurs populations qu'à les faire tomber.

L'internet est un média plus difficile à contrôler que la télé ou les journaux. Mais le fait est qu'il peut être contrôlé. La Chine le démontre bien jour après jour, malgré son milliard de citoyens.

Formidable outil d'information, l'internet peut aussi être efficace pour désinformer ou embrigader la population. Ça n'arrive pas seulement en Chine ou en Russie. Les publicitaires s'en servent, comme ceux qui font de la politique dans les pays démocratiques.

Facebook et Twitter ont facilité la vie des opposants tunisiens et égyptiens, mais ils n'ont pas fait la révolution à leur place, ni surtout semé la graine de l'émancipation.

Partout, depuis toujours, les révolutions viennent avec l'enrichissement d'un pays. Une classe moyenne apparaît, prend conscience des inégalités, et finit par se révolter.

La Tunisie et l'Égypte ne font pas exception, pas plus que la Libye, où le régime a choisi de s'accrocher et de combattre par les armes.

En fait, jusqu'à aujourd'hui, seuls les Émirats arabes unis ont contredit cette théorie courante de la naissance des révolutions. Les royaumes pétroliers se sont enrichis considérablement au cours des années, tout en maintenant un contrôle serré sur leur population.

Encore maintenant, ils résistent au vent de changement qui souffle tout autour de leurs frontières. Ça tombe bien, toute cette agitation fait grimper le cours du pétrole, ce qui permet aux scheiks de subventionner grassement leur population pour faire taire les récriminations.

Mais ils seront peut-être quand même les prochains à tomber. À cause des prix élevés du brut, on prévoit que les membres de l'OPEP engrangeront des profits de 1000 milliards de dollars en 2011. C'est la première fois que les profits du pétrole franchiront ce seuil.

Tout cet argent peut leur permettre de continuer d'acheter la paix pendant un bon bout de temps, mais la recette a ses limites. Une fois rassasié, le peuple veut normalement des choses que l'argent ne peut acheter, comme le droit de vote, par exemple.

Mais l'argent peut aussi servir à mieux exercer la répression. En Arabie Saoudite, où les femmes ont entrepris une croisade pour obtenir le droit de vote avec l'aide de l'internet, il faudra voir ce que ça donnera.

1. The Net Delusion: How not to Liberate the World, Allen Lane éditeur, 2011.

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