Si le président déchu de la Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo, tient le coup encore deux semaines, il pourrait bien rester au pouvoir pendant 20 ans.

L'issue de cette triste lutte de pouvoir entre l'ancien président qui refuse de quitter son poste et le nouvel élu, Alassane Ouattara, est à ce point incertaine qu'aucun analyste ne se risque à faire de prédictions.

Sauf peut-être celle-ci: celui des deux qui mettra la main sur le commerce du cacao gagnera ce combat qui dure depuis l'élection qui aurait dû porter au pouvoir M. Ouattara, il y a trois mois.

Retranché dans le palais présidentiel d'Abidjan, à court d'argent pour payer ses troupes, Laurent Gbagbo est acculé au mur et tente de s'en sortir par tous les moyens. Il a nationalisé les banques, ce qui n'a absolument rien changé puisque toutes les institutions financières internationales avaient déjà cessé toute activité dans le pays.

Mais il a surtout joué le tout pour le tout en décrétant la nationalisation de l'industrie du cacao et du café, qui sont le pain et le beurre du pays.

La Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial de cacao, un secteur qui compte pour 20% de son produit intérieur brut.

Officiellement, donc, tout le stock de cacao dans les entrepôts du pays appartient maintenant au gouvernement dirigé par Gbagbo, une cagnotte estimée à 1,5 milliard.

Il s'agit maintenant de vendre ce cacao, ce qui n'est pas simple car, en raison des sanctions économiques imposées par la communauté internationale contre le clan Gbagbo, les grands importateurs ne peuvent plus acheter les fèves ivoiriennes.

Mais la demande mondiale de cacao reste très forte et il suffirait qu'un acheteur moins scrupuleux se pointe pour que Laurent Gbagbo sorte gagnant du combat. Ce dernier a d'ailleurs menacé d'imposer des sanctions aux partenaires économiques de la Côte d'Ivoire si les fèves ne sont pas exportées d'ici au 31 mars.

Le camp qui contrôle la manne du cacao va l'emporter, croit en effet un nombre croissant d'observateurs, dont Serge Michailof, ancien directeur de la Banque mondiale, qui s'inquiète publiquement du cul-de-sac ivoirien.

Le président du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Khan, craint lui aussi l'impact de la crise ivoirienne sur l'économie de ce pays et sur celle de tous ses voisins.

«La crise politique qui ne finit pas en Côte d'Ivoire fait peser des risques graves sur la croissance de la région alors qu'une reprise économique est en cours», a prévenu le FMI la semaine dernière à New York, lors d'une réunion consacrée à l'Afrique de l'Ouest.

À cause de sa taille et de ses ressources naturelles, la Côte d'Ivoire est un joueur important dans cette région du monde le plus souvent oubliée par la croissance économique.

Depuis la mort en 1993 du dictateur Félix Houphouët-Boigny, qui a régné sans partage pendant 33 ans, les luttes politiques sont devenues la norme dans le pays autrefois le plus stable de la région.

Son économie se désagrège aussi, lentement. Encore une fois, le pays risque de passer à côté d'un cycle favorable pour son économie, alors que les prix de ses principaux produits d'exportation, le cacao mais aussi le café et le coton, battent des records sur les marchés.

Mais la plus grande victime des affrontements entre les deux clans politiques reste la population ivoirienne, qui vit depuis des mois dans la terreur. Sans argent, sans travail, de plus en plus d'Ivoiriens sont revenus à l'économie de subsistance et les produits de base commencent à manquer.

Malgré la présence des Casques bleus de l'ONU, des centaines d'habitants ont été tués chez eux ou dans les rues. Leur misère se prolonge, éclipsée par d'autres préoccupations internationales comme les troubles au Moyen-Orient et le tremblement de terre au Japon. De quoi donner un goût amer au chocolat qu'on achètera pour Pâques.