La haute direction du constructeur automobile Renault a présenté ses excuses hier à trois cadres accusés et congédiés «à tort» en janvier dans une affaire alléguée d'espionnage industriel qui tourne au fiasco.

Le président-directeur général de l'entreprise, Carlos Ghosn, et le directeur général délégué, Patrick Pélata, ont indiqué par communiqué qu'ils s'engageaient à ce que «l'honneur» des employés mis en cause «soit restauré aux yeux de tous, en tenant compte du grave préjudice humain qu'eux et leur famille ont subi». Ils ont par ailleurs promis de les réintégrer ou de leur offrir une indemnisation conséquente.

Le mea-culpa de Renault survenait peu de temps après que le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, eut confirmé en conférence de presse que le scénario d'espionnage industriel ne tenait pas la route.

Les vérifications menées par les enquêteurs de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) ont permis de conclure que les comptes bancaires sur lesquels les cadres avaient supposément reçu des sommes compromettantes «n'existaient pas».

Selon le magazine Le Point, les forces de l'ordre sont par ailleurs convaincues qu'un mystérieux informateur censé avoir fourni des renseignements clés à l'entreprise sur les actions de ses employés n'existe pas non plus.

M. Marin a indiqué que l'enquête s'orientait désormais vers une «possible escroquerie au renseignement» ciblant un responsable du service de sécurité de l'entreprise, Dominique Gevrey.

Cet ancien militaire a été arrêté à l'aéroport vendredi à Paris alors qu'il s'apprêtait à partir pour la Guinée-Conakry pour un voyage imprévu. Il a été mis en examen après avoir été longuement interrogé. Deux autres membres du service de sécurité ont aussi été interpellés et interrogés avant d'être relâchés sans accusation.

Renault avait affirmé en janvier, en annonçant le congédiement des trois cadres, qu'il disposait de multiples preuves démontrant qu'ils avaient reçu des sommes d'entreprises chinoises sur des comptes à l'étranger en contrepartie d'informations confidentielles sur le programme de voiture électrique du constructeur.

Il semble plutôt que M. Gevrey a fait croire à son employeur qu'il était en contact avec un informateur ayant réclamé des sommes de plusieurs centaines de milliers d'euros pour fournir les renseignements sur les cadres injustement mis en cause. L'entreprise aurait d'ailleurs versé plus de 300 000 euros à cette fin.

La DCRI a commencé à avoir des soupçons à l'encontre de l'employé du service de sécurité en constatant qu'il refusait obstinément de fournir le nom de l'informateur.

L'affaire constitue une source d'embarras importante pour Renault, qui a annoncé hier son intention de se porter partie civile dans l'enquête en cours.

Il y a 10 jours, M. Pélata avait reconnu les doutes de la direction et promis de «tirer les conséquences» qui s'imposaient advenant la confirmation d'une manipulation interne. La direction a cependant fait savoir hier soir que M. Ghosn avait refusé la démission de son adjoint. Les deux hommes se sont symboliquement engagés à renoncer à la part variable de leur rémunération pour 2010 et à tout bénéfice d'options d'achat d'actions pour 2011.

Il est loin d'être certain que ces mesures suffiront à sauver la mise pour le PDG, qui était intervenu dans les médias en janvier pour défendre le sérieux de la plainte déposée contre les cadres pour «espionnage industriel, corruption, abus de confiance, vol et recel».

Le Parti socialiste a réclamé hier le départ du dirigeant de Renault en dénonçant les «méthodes inouïes» utilisées par l'entreprise à l'encontre de ses employés.

Le gouvernement français, qui n'avait pas hésité à parler de «guerre économique» en janvier, suscitant l'ire de Pékin, est aussi embarrassé par les découvertes des enquêteurs de la DCRI.

La ministre des Finances et de l'Industrie, Christine Lagarde, a dit souhaiter récemment que «justice soit rendue, confiance soit restaurée et réparation soit payée» rapidement dans l'hypothèse où les soupçons de manipulation devaient se confirmer.