«Amitié» entre deux hommes, intérêts économiques cruciaux et pressions sur l'immigration: l'Italie de Silvio Berlusconi a joué la prudence face à Mouammar Kadhafi car elle a beaucoup à perdre d'un éventuel changement de régime en Libye, estiment les experts.        

«L'Italie s'inquiète car les effets seraient beaucoup plus directs et immédiats que dans d'autres pays» si Kadhafi devait céder le pouvoir, explique à l'AFP Ettore Greco, directeur de l'Institut des affaires internationales à Rome.

Les liens entre la Libye et l'Italie se sont renforcés après la signature, en août 2008, d'un accord qui a soldé les comptes de plus de trente ans de colonisation italienne (1911-1942). M. Berlusconi avait alors présenté les excuses de l'Italie et s'était engagé à verser 5 milliards de dollars de dédommagements sous forme d'investissements sur les 25 prochaines années.

Depuis l'Italie est devenue le premier partenaire commercial de la Libye.

Et, selon le quotidien Il Sole 24 Ore, la valeur des participations détenues par la Libye en Italie s'élève à 3,6 milliards d'euros, de la banque UniCredit, à Finmeccanica en passant par le club de foot turinois Juventus...

De plus, «la Libye est une alliée de l'Italie, elle a participé à la politique de limitation de l'immigration illégale», rappelle Andrea Margeletti, directeur du centre d'études internationales pour qui «une interférence de la part de l'Italie ne serait pas appréciée».

Le «traité d'amitié» comprenait en effet aussi une clause sur les reconduites de migrants en Libye, qui a permis une réduction drastique des débarquements de clandestins en Italie.

Rome craint aujourd'hui de voir affluer entre 200 à 300.000 migrants de Libye, selon l'un des scénarios étudiés mardi soir lors d'une réunion de crise convoquée par le Cavaliere.

«Les liens sont également très forts sur le plan politique, d'où l'extrême prudence de l'actuelle coalition» de droite en Italie, résume Ettore Greco.

Samedi, alors que tombaient les premières victimes en Libye, Silvio Berlusconi avait affirmé qu'il «ne voulait pas déranger» Mouammar Kadhafi.

Lundi à Bruxelles, son ministre des Affaires étrangères, Franco Frattini, a plaidé pour la retenue, expliquant que l'Europe ne devait pas «exporter la démocratie». Et ce n'est qu'en soirée que le Cavaliere a condamné «l'utilisation inacceptable de la violence contre la population».

«Mieux vaut tard que jamais... Son silence paraissait un pari hasardeux, sans doute pas suffisant pour protéger nos intérêts et certainement contraire aux valeurs de notre démocratie», écrit l'éditorialiste du Corriere della Sera Gian Antonio Stella. Selon lui «la discrétion de Berlusconi nous a fait distancer par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne».

Plus sévère encore, Il Sole 24 Ore reproche à Rome «d'avoir donné à Kadhafi la visibilité d'une rock star». «Nous lui avons tout pardonné», regrette le quotidien économique.

Comme lui, d'autres commentateurs ne se privaient pas de rappeler l'accueil royal réservé à Kadhafi à Rome, les «salamalecs» du Cavaliere qui avait baisé la main du leader libyen, les échanges de cadeau ou encore les scandales suscités par les frasques de ce dernier... Comme lorsqu'il avait invité des centaines de jeunes femmes, sélectionnées par une agence d'hôtesses et rémunérées, à se convertir à l'Islam.

Mais pour Ettore Greco, ces liens devraient au contraire conduire l'Italie à s'impliquer d'avantage. Pour lui, «l'Italie a été très prudente, alors qu'elle aurait pu jouer un rôle très important».

«Quand émergent des forces qui veulent le changement et qui sont crédibles, il faut intervenir. L'Italie ne devrait pas freiner ce processus», analyse-t-il.

Mardi soir, M. Berlusconi a fait savoir qu'il s'était entretenu dans la journée au téléphone avec le leader libyen pour réaffirmer la nécessité d'une solution pacifique afin que la situation ne dégénère en guerre civile.